Pratique illégale jusqu’à présent, la vidéosurveillance automatisée se déploie sur le territoire français.
La préparation des Jeux Olympiques 2024 à Paris ouvre-t-elle la voie à l’expérimentation de nouvelles technologies de surveillance donnant à l’État et à la police un pouvoir de contrôle et de répression sans précédent? Le fait est que l’accent est mis désormais sur la surveillance biométrique qui s’appuie sur les outils de vidéosurveillance automatisée (VSA) et donc l’intelligence artificielle. Une première en matière de surveillance au niveau européen.
Nouvelle loi européenne unique au niveau mondial
Ces expériences sur le territoire français font écho à l’adoption en mars 2024 par les députés européens du règlement sur l’intelligence artificielle (ou AI Act). L’AI Act est une loi unique au niveau mondial qui vise à encadrer les systèmes d’intelligence artificielle. En théorie, ce texte de loi
interdit les systèmes de notation citoyenne ou de surveillance de masse utilisés en Chine, ou encore l’identification biométrique à distance des personnes dans les lieux publics. Sur ce dernier point, les États ont toutefois obtenu des exemptions pour certaines missions des forces de l’ordre comme la prévention d’une menace terroriste ou la recherche ciblée de victimes.
Parmi les premières « exemptions » autorisées figure la préparation des Jeux Olympiques organisés à Paris du 26 juillet au 11 août 2024. L’article 7 du projet de loi relatif aux Jeux olympiques et paralympiques adopté par le Sénat autorise déjà la vidéosurveillance automatisée (VSA):
À titre expérimental et jusqu’au 30 juin 2025, à la seule fin d’assurer la sécurité de manifestations sportives, récréatives ou culturelles, qui, par leur ampleur ou leurs circonstances sont particulièrement exposées à des risques d’actes de terrorisme ou d’atteinte grave à la sécurité des personnes, les images collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection autorisés (…) dans les lieux accueillant ces manifestations et à leurs abords, ainsi que dans les moyens de transport et sur les voies les desservant, peuvent faire l’objet de traitements comprenant un système d’intelligence artificielle.
Changement d’échelle sans précédent
Avec cette loi, la France est le premier État membre de l’Union européenne à légaliser et autoriser la surveillance biométrique. La vidéosurveillance automatisée (VSA) est un outil de surveillance totale développé par des entreprises privées, déjà utilisé depuis des années par la police de façon illégale dans plus de 200 villes en France.
Cette technologie de surveillance biométrique utilise des algorithmes couplés aux caméras de surveillance, et parfois un module «prédictif», afin de détecter, d’analyser et de classer les corps et les comportements dans l’espace public.
Pour la Quadrature du Net, une association française qui veille à défendre les libertés fondamentales dans l’environnement numérique, la VSA représente:
Un changement d’échelle sans précédent dans les capacités de surveillance et de répression de l’État et de sa police.
La VSA analyse des milliers d’heures de vidéos pour catégoriser les comportements suivant ce que les autorités auront qualifié de « suspect » ou « anormal » pour l’appliquer en temps réel sur les caméras de surveillance. Il s’agit d’un réel changement de dimension de la surveillance et d’industrialisation du travail d’image pour démultiplier les notifications et interpellations, guidées par cette intelligence artificielle.
À noter que l’utilisation de la reconnaissance faciale est en théorie interdite durant cette expérience réalisée à l’occasion des Jeux Olympiques 2024. Cependant, la VSA et la reconnaissance faciale reposent sur les mêmes algorithmes d’analyse d’images et de surveillance biométrique. La différence est que la première technologie reconnaît les corps et les objets tandis que la seconde se concentre sur les visages. Les deux techniques sont en général développées par les mêmes entreprises.
Dans les lycées et les trains
Au cours de cette expérimentation, la loi permet à la vidéosurveillance automatisée (VSA) de se déployer sur une quantité d’évènements tels que : festivals de musique, courses de marathon, spectacles en plein air, marchés de Noël… C’est selon la Quadrature du Net:
Autant d’évènements « sportifs », « récréatifs » ou « culturels » qui serviront de terrain de jeux à ces algorithmes. D’ailleurs, le périmètre de ces évènements est également très large puisque les images utilisées iront jusqu’aux abords de ces lieux et aux moyens de transport les desservant (l’intérieur et les voies).
C’est ainsi que le Conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes a voté jeudi 21 mars 2024, le déploiement de la vidéosurveillance algorithmique dans tous les lycées et trains de la région, en profitant de l’expérimentation accordée aux Jeux Olympiques de Paris.
Bien que la région promet d’utiliser cette vidéosurveillance algorithmique « sans mettre en œuvre de reconnaissance faciale, ni d’identification de données biométriques », la VSA implique nécessairement une identification biométrique.
La VSA est capable de s’intéresser à des « événements » (déplacements rapides, altercations, immobilité prolongée) ou aux traits distinctifs des personnes : une silhouette, un habillement, une démarche, grâce à quoi ils peuvent isoler une personne au sein d’une foule et la suivre tout le long de son déplacement dans la ville. La VSA identifie et analyse donc en permanence des données biométriques.
Une surveillance qui ne s’arrêtera pas après la fin des Jeux
Ainsi, l’expérimentation en cours accordée pour les Jeux Olympiques permet de légaliser et de généraliser une pratique déjà utilisée en toute opacité depuis de nombreuses années… Une chose est certaine, la surveillance biométrique ne s’arrêtera pas avec la fin des Jeux Olympiques, ni même en 2025 comme le prétend le projet de loi.
Pour la Quadrature du Net :
Cette «expérimentation» pendant les Jeux Olympiques doit être vue comme une simple étape vers la légitimation et la pérennisation de ces technologies. En évoquant un dispositif au caractère temporaire et réversible, ce concept d’«expérimentation», permet de rendre une technologie aussi controversée que la VSA plus facilement acceptable pour le public.
Pour aller plus loin :
Dossier complet “JO 2024: souriez, vous êtes fichés” dans le magazine Nexus n°151 de mars / avril 2024
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