Les mois d’été ou la période entre Noël et le jour de l’an sont des moments propices au relâchement pour la majeure partie de la population, les polémiques et oppositions disparaissent soudainement comme neige qui fond au soleil. Il faut donc se méfier des lois votées dans ces moments qui sont opportuns pour les gouvernements pour faire voter discrètement des projets.L’embrasement des banlieues qui fait peur aux citoyens et politiques présente les caractéristiques idéales pour faire passer des textes à caractère liberticide. Sous couvert d’une demande accrue de sécurité de peur d’un embrasement généralisé, certains textes liberticides peuvent facilement être votés en toute discrétion. Que cache la nouvelle loi de programmation militaire ?
Une procédure inhabituelle
La nouvelle loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 actuellement en discussion comporte des dispositions surprenantes et inquiétantes en matière de réquisitions, profondément attentatoires aux libertés publiques laissées à la discrétion de l’exécutif, dispositions qui commencent à faire réagir ici et là.
La LPM est un exercice qui revient tous les cinq ans depuis la fin des années 1990 qui a vu la suspension du service national militaire et l’instauration de l’armée professionnelle. Les lois de programmation, prévues à l’article 34 de la Constitution de 1958, « déterminent les objectifs de l’action de l’État ». Contrairement aux lois ordinaires ou aux lois organiques, les lois de programmation n’ont normalement pas d’effet autre qu’indicatif. La LPM n’est donc pas prévue par la Constitution pour être une loi impérative, elle n’a pas vocation à inscrire dans le marbre des dispositions pérennes. Essentiellement un outil de prévision budgétaire, la LPM, dans ses constats et prévisions, entend donner une visibilité à moyen terme pour permettre la préparation et le vote des lois de finances annuelles et par suite, conférer aux armées les moyens nécessaires pour remplir leur mission.
Le propre des LPM est au demeurant d’être rarement respectées dans les faits, toujours au détriment des armées.
L’actuel Projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense, comporte en application de la seconde partie de son titre, des cavaliers législatifs modifiant de manière profonde et pérenne le Code de la défense en s’attaquant de front aux libertés publiques.
Cette facilité procédurale de modifier des dispositions législatives permanentes à l’occasion d’un texte non prévu pour cela, est apparue depuis les trois LPM précédentes (LPM 2009-2014, LPM 2015-2019 et 2018-2025). Mais jusqu’à présent, ces dispositions permanentes ne concernaient que des situations techniques ou statutaires directement liées aux armées, pouvant modifier certains articles du Code de la défense, en particulier en matière de gestion RH des armées ou même pour habiliter le gouvernement à prendre des ordonnances (LPM 2015-2019) dans certains domaines très spécifiques et ne concernant pas les libertés publiques.
La situation actuelle est donc inédite. Le texte est passé en première lecture à l’Assemblée Nationale début juin, en procédure accélérée, donc avec un minimum de débats et voté sans difficulté par le Sénat après l’ajout d’amendements. De retour à l’assemblée, un prochain vote final permettra l’adoption du texte après un passage en commission, pour une promulgation prévue au cours du mois de juillet. Il est facile de se douter que ce vote aura lieu de nuit avec un hémicycle clairsemé comme c’est souvent le cas, surtout pour ce type de texte jugé technique et n’intéressant personne hormis quelques parlementaires membres de la commission de la défense. Et voilà comment, si rien n’est fait, une atteinte fondamentale de plus à la propriété privée et à la liberté individuelle sera perpétrée. Une de plus, on devrait commencer à s’y habituer, depuis la crise Covid.
Le gouvernement actuel est coutumier de ces détournements de procédure, la réforme des retraites ayant été passée par une loi de finances rectificative de la sécurité sociale. Or, il peut compter sur la mansuétude d’un Conseil Constitutionnel qui lui semble totalement acquis et ne joue plus, depuis longtemps, son rôle de contre-pouvoir, notamment en matière de libertés publiques.
Un pouvoir « hors norme » confié à l’exécutif sans contrôle ni autorisation du Parlement
L’article 23 du projet de la LPM propose une nouvelle rédaction de l’article L .2212-1 du Code de la défense, autorisant les réquisitions.
Dans sa rédaction actuelle, ce Code est assez restrictif et prévoit la possible réquisition des prestations nécessaires pour assurer les besoins de la défense. Il en fixe les conditions par un renvoi dans article L.2212-1, aux dispositions des articles L.1111-2 et L. 2141-3 du même Code. Ces dispositions concernent « les menaces et les risques susceptibles d’affecter la vie de la Nation, notamment en ce qui concerne la protection de la population, l’intégrité du territoire et la permanence des institutions de la République, et de déterminer les réponses que les pouvoirs publics peuvent y apporter » . Nous n’en connaissons pas d’exemples récents et ce procédé de réquisition, en théorie connu dans les armées, aurait pu être appliqué dans de rares cas, inconnus de l’auteur de ces lignes. Parmi ces réponses, l’article L.2141 auquel il est aussi renvoyé, prévoit la mobilisation générale et la mise en garde, qui « consiste en certaines mesures propres à assurer la liberté d’action du Gouvernement, à diminuer la vulnérabilité des populations ou des équipements principaux et à garantir la sécurité des opérations de mobilisation ou de mise en œuvre des forces armées et formations rattachées ».
La rédaction du nouvel article L.2212-1 du Code de la défense dans l’actuel projet de loi, est intégralement réécrite, ce qui est inhabituel car l’usage du législateur est de remplacer des termes ou des morceaux de phrases. Le premier alinéa est ainsi rédigé : « En cas de menace, actuelle ou prévisible, pesant sur les activités essentielles à la vie de la Nation, à la protection de la population, à l’intégrité du territoire ou à la permanence des institutions de la République ou de nature à justifier la mise en œuvre des engagements internationaux de l’État en matière de défense, la réquisition de toute personne, physique ou morale, et de tous les biens et les services nécessaires pour y parer peut être décidée par décret en Conseil des ministres. Ce décret précise les territoires concernés et, le cas échéant, l’autorité administrative ou militaire habilitée à procéder à ces mesures ».
À la lecture rapide de ces dispositions, on n’y trouverait pas grand-chose à redire, pensant que finalement il appartient à l’État, en cas de péril imminent, d’avoir recours à tous les moyens possibles pour assurer la défense de la Nation. Mais il convient d’examiner les raisons qui ont conduit le législateur (en réalité, l’administration gouvernementale qui a rédigé ce projet) à revoir complètement une rédaction existante qui semblait pourtant remplir l’objectif recherché. On notera tout d’abord que les renvois à d’autres articles, présents dans la rédaction actuelle dudit Code, ont été supprimés : l’article lui-même exprime la motivation autorisant la réquisition. Une lecture attentive de ces nouvelles dispositions ouvre ainsi des perspectives inquiétantes.
Les perspectives possibles d’application de la loi
La motivation autorisant la réquisition apparaît floue, très large et permet au gouvernement (au président ?) d’y mettre ce qu’il veut : la menace peut être actuelle ou simplement prévisible (comment définir qu’une menace soit prévisible ? On a vu les écarts monstrueux entre les prévisions informatiques de l’Imperial College en matière de Covid et la réalité constatée) et relever de divers domaines énumérés dans l’article, notamment les engagements internationaux de la France. Le processus est enclenché par un décret en Conseil des ministres qui, faut-il le rappeler, est présidé par le président de la République.
Prenons quatre exemples. Tout d’abord, sur un plan strictement militaire, l’actuel conflit ukrainien et l’implication croissante de l’UE et de l’OTAN sont de nature à conduire la France dans un engrenage fatal. La réquisition des personnes physiques pourrait permettre au président, sur un simple décret, de réquisitionner par exemple, des personnes pour les envoyer combattre, selon des critères physiques et psychiques décidés par le gouvernement. Dans la pratique, les armées ne disposent plus des capacités de gérer une mobilisation et les personnels réquisitionnés n’ont plus de formation militaire depuis la fin du service, mais on constate souvent que nos dirigeants vivent davantage dans le monde de la théorie que dans la réalité.
Autre exemple : on pourrait imaginer une « urgence climatique », menace considérée comme prévisible faisant par ailleurs l’objet d’engagements internationaux de la France, pour réquisitionner (= confisquer, dans la pratique) des logements énergivores classés G ou encore des véhicules personnels Crit’air 4, car leur situation compromettrait gravement la vie de la Nation : il suffira de l’affirmer avec le relais médiatique habituel. Un simple décret permettra ensuite de spolier les gens concernés.
Une urgence pandémique, compte tenu des accords en cours avec l’OMS pourrait avoir les mêmes effets, surtout si l’on considère que le gouvernement a classé les vaccins anti-Covid parmi les biens à double usage, faisant l’objet d’un contrôle pour l’exportation. Or, les biens à double usage concernent directement la défense nationale. Donc ce texte, s’il est adopté, pourra être appliqué lors de la prochaine pandémie déclarée par l’OMS. Comme la réquisition s’applique aux personnes physiques, on peut imaginer qu’en cas de pandémie du type Covid-19, il soit possible de déplacer les personnes refusant une vaccination imposée par le gouvernement, dans des camps d’internement. Cela s’est vu en Australie.
Dernier exemple : on a vu comment le gouvernement (et l’UE) ont confisqué les avoirs russes ou fait fermer une entreprise comme RT France, dans des conditions de légalité qu’il reviendrait d’étudier. Il sera donc encore plus facile et rapide de le faire, sans présager du détestable signal envoyé aux investisseurs étrangers.
Ces exemples peuvent sembler caricaturaux ou excessifs mais ce texte le permettra, à la discrétion du président de la République. Or, la gestion de la crise Covid nous a habitués à des tels excès, avec ses plages dynamiques surveillées par des policiers surarmés ou les auto attestations de sortie. On peut maintenant s’attendre à tout, même à l’improbable.
Un amendement déposé par le gouvernement, adopté au Sénat, prévoit enfin que les personnes concernées s’opposant à la réquisition seraient passibles d’un délit puni d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 15 000 euros (article L. 2211-5 du projet de loi).
Le rôle du Parlement se limite au strict minimum, la place de l’exécutif, déjà considérable par la Constitution de la Ve République, s’accroît chaque jour. En matière d’emploi des forces armées, il convient de rappeler que l’article 35 de la Constitution de 1958 impose un vote du Parlement après quatre mois d’opération extérieure : cela fait plus d’un an que des troupes françaises sont déployées en Roumanie et dans les pays baltes (y en a-t-il en Ukraine aussi ?), sans qu’aucun vote ne soit intervenu. Manifestement cela ne dérange ni l’opposition NUPES ni le RN. Aux élections présidentielles en 2017 et en 2022 il fallait faire barrage… barrage à quoi ? Aujourd’hui la France, « démocratie défaillante » selon The Economist, en proie au chaos, ressemble de plus en plus à une démocrature où un exécutif tout-puissant veut toujours plus de pouvoir discrétionnaire et de contrôle sur les simples citoyens mais n’est même pas capable d’assurer la sécurité des biens et des personnes, les événements de ces derniers jours l’ont bien prouvé.
Il serait urgent que ladite opposition se réveille et entrave le coup d’État permanent de la République macronienne.
Olivier Frot est diplomé de Saint-Cyr et docteur en droit.