« Quant au mal, il se cache dans les interstices de nos institutions bureaucratiques qui, à mesure qu’elles ont grandi en taille et en complexité depuis le dix-neuvième siècle, se comportent d’une manière de plus en plus impossible à comprendre et contraire à l’épanouissement de l’homme. » – Eugyppius sur Substack
Par James Howard Kunstler
L’argent est tout ce qu’il y a de plus théorique… jusqu’à ce qu’il ne le soit plus. Le papier-monnaie est déjà mauvais, comme la France l’a appris sous la tutelle du vaurien John Law, au début des années 1700. La nation était ruinée, épuisée par des guerres insensées et croulait sous une dette insupportable. Monsieur Law, un génie écossais (le Jerry Lewis de l’économie politique), débarque à Paris, envoûte le régent, le Duc d’Orléans, met en place un moteur de crédit magique alimenté par les rêves de richesses incalculables qui jailliraient des vastes terres nouvellement découvertes appelées Louisiane en amont du Mississippi, et la finance moderne est née !
La bulle du Mississippi a rapidement ruiné la France et donné à la finance une telle mauvaise image que le mot « banque » n’a pas pu être utilisé dans la société polie pendant un siècle. L’inflation monétaire est apparue pour la première fois depuis l’époque romaine – un tour beaucoup plus facile avec des billets de banque en papier imprimé qu’avec des pièces d’argent – mais l’effet a été le même : l’évaporation de la « richesse » (qui est ce que l’argent est censé représenter). Au plus fort de la crise, le commerce de l’or a été criminalisé, mais la coutume et l’habitude l’ont si facilement contourné que la Couronne a dû le légaliser à nouveau. La frénésie du début à la fin n’a duré que quelques années, mais la nation a été mise sur la voie qui mènerait finalement à la révolution. Law a fini ses jours en organisant des jeux de cartes à Venise.
De la même manière, l’État grinçant qu’on appelle aujourd’hui les États-Unis a donné naissance à de nombreuses nouvelles incarnations de John Law, alors qu’il passait du statut d’« arsenal de la démocratie » – vous savez, fabriquer des choses réelles – à celui de pays imaginaire, où les licornes galopaient sur des arcs-en-ciel conjurés par la magie informatique et les souhaits utopiques d’équité, de diversité et d’inclusion. Le poids des richesses précédemment accumulées a entretenu ces rêves longtemps après que nous ayons abandonné l’activité rude et désordonnée qui consiste à fabriquer des choses, et donc à générer de vraies richesses. Mais aujourd’hui, l’alarme retentit, signalant la fin du temps des rêves, et la nation se réveille dans une maison délabrée où le plancher cède sous le lit.
La pourriture était évidente dans l’architecture bancaire fondée sur le papier du Trésor américain (bons, billets, obligations), car la hausse des taux d’intérêt a fait baisser le prix de tous les titres de créance émis précédemment à des taux inférieurs. Or, c’est sur ce papier que les banques gardaient généralement l’argent des déposants. Ainsi, lorsqu’il s’est avéré nécessaire de déclarer un problème de bilan, et qu’il a fallu trouver des liquidités pour le couvrir, le papier du Trésor n’a pu être vendu qu’à perte, le passif a dépassé l’actif, la nouvelle s’est répandue, les déposants se sont précipités pour sécuriser l’argent sur leurs comptes, et c’est ainsi que la banque, en l’occurrence la Silicon Valley Bank, a été la première à s’effondrer.
Comme les banques existent aujourd’hui dans une vaste matrice d’obligations interconnectées – des promesses de payer ceci et cela – la crainte grandit que la pourriture d’une banque, comme la SVB, contamine de nombreuses autres banques qui ne sont plus en mesure de tenir leurs promesses de payer ceci et cela, ce qui entraînerait une chaîne de non-paiement. Pour une économie, c’est à peu près la même chose que le sang qui cesse de circuler dans un corps.
Dans ce genre de situation (par exemple, en 2008-2009), les autorités gouvernementales – qui sont censées régir le monde bancaire comme des dieux – se précipitent pour sauver ces entreprises en leur fournissant des « liquidités », de l’argent (ou des représentations d’argent) nécessaires pour rééquilibrer les choses, ou peut-être pour donner l’impression d’un rééquilibrage jusqu’à ce qu’une autre solution soit trouvée. Les Jupiter et Minerve de la banque américaine, Jay Powell et Janet Yellen, ont été confrontés à ce type d’appel à l’intervention divine au cours du week-end, alors que la peur s’infiltrait dans tous les coins et recoins du monde de l’argent et que la richesse s’envolait dans la conflagration tant redoutée de la benne à ordures qu’est devenu le système bancaire.
Dimanche matin, Mme Yellen a déclaré à CBS News : « Pas question de renflouer », mais dans l’après-midi, M. Powell s’est écrié : « On va renflouer », et ils ont dû mettre les choses au point. Ils ont offert 25 milliards de dollars pour renflouer les déposants d’un système qui couve un incendie et qui aura sans doute besoin d’au moins mille milliards de dollars de liquidités pour éteindre les incendies qui se propagent. Une chose semble sûre : les hausses de taux d’intérêt dont M. Powell parlait avec tant d’assurance il y a quelques jours à peine ont été rangées dans son dossier intitulé « Ne plus toucher ». La campagne de lutte contre l’inflation doit donc maintenant céder le pas à la nécessité urgente de créer beaucoup d’argent pour éteindre ces incendies.
Vous avez peut-être remarqué que la valeur de votre argent a glissé au cours de l’année écoulée. Le beurre de cacahuète à cinq dollars le pot, et tout le reste. La situation actuelle garantit en quelque sorte que nous allons encore assister à un grand nombre de ces dérapages. Les dieux de l’argent auront alors perdu le contrôle de la console des taux d’intérêt. Il ne sera plus possible de jouer avec les boutons cassés. Plus d’inflation incitera les détenteurs de titres du Trésor américain à se débarrasser de ce qu’ils peuvent tant qu’il y a encore de la valeur à récupérer. Mais les États-Unis doivent émettre plus de dette pour tous les renflouements et les acheteurs théoriques de la nouvelle dette augmenteront forcément les taux pour suivre l’inflation… et pourtant les États-Unis ne peuvent pas supporter le fardeau de payer des intérêts plus élevés sur leur dette. Il semble que le modèle de gestion des États-Unis soit en train de s’effondrer sous nos yeux.
Heureusement, le capitaine « Joe Biden » est à la barre de cette barge d’ordures fumante. Sa salle de conférence remplie de génies est prête à apporter la solution à notre problème : la monnaie numérique des banques centrales, mythifiée depuis longtemps – un rêve devenu réalité pour les tyrans en puissance… le Godzilla des licornes hennissant au sommet du plus grand arc-en-ciel de tous : la promesse d’un argent magique sans fin pour tout le monde, pour toujours. Tout ce que vous avez à faire pour l’obtenir est d’abandonner tout pouvoir de décision sur votre propre vie. Le gouvernement regroupera les quelques biens qui vous restent sur un compte de la CBDC, vous dira exactement à quoi le dépenser et fermera votre petite carte si vous montrez la moindre velléité contraire.
Ils peuvent essayer. Je doute que cela fonctionne. Au lieu de cela, le gouvernement va fondre dans sa propre flaque d’insolvabilité rance, la méta-extorsion va tout broyer, et ce sera chacun pour soi dans le Palais du Chaos en ruine pendant un certain temps… jusqu’à ce que les choses se reconstruisent de manière émergente. Mais je m’avance un peu. Il n’est pas encore dix heures lundi matin.
Oh, et puis il y a l’Ukraine….
James Howard Kunstler
Pour lui, les choses sont claires, le monde actuel se termine et un nouveau arrive. Il ne dépend que de nous de le construire ou de le subir mais il faut d’abord faire notre deuil de ces pensées magiques qui font monter les statistiques jusqu’au ciel.
Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
Source Clusterfuck Nation