De nombreux aliments ( Ndr : ainsi que les bâtonnets de tests covid !) ont été traités avec ce pesticide cancérogène. Sont-ils dangereux ? On fait le point avec le toxicologue Fabrizio Pariselli.
Dans la famille des produits contaminés à l’oxyde d’éthylène (ETO), je voudrais… le pain de mie ! Depuis la semaine dernière, ceux des marques Chabrior, Netto, Monoprix et Franprix sont rappelés : on y trouve du gluten contenant des résidus de ce pesticide interdit d’utilisation en Europe, classé cancérogène, mutagène et reprotoxique.
Naturellement présent dans la farine de blé, le gluten est souvent ajouté par les industriels pour obtenir une pâte à pain plus élastique et moins cassante.
Dans la grande famille des produits contaminés à l’ETO, on trouve également de nombreuses glaces. Ce pesticide a été détecté dans la gomme de guar et la farine de caroube, deux additifs fréquemment utilisés pour fabriquer des sorbets et crèmes glacées.
Un seul ingrédient contaminé, et le produit devient impropre à la consommation
Lorsque nous les avons interrogés fin 2021 puis début 2022, les fabricants de glaces nous ont assuré que l’oxyde d’éthylène n’était pas détectable dans les produits finis. Peut-on pour autant affirmer qu’il n’y a aucun risque pour la santé ? Rien n’est moins sûr.
« Le fait d’utiliser une denrée impropre à la consommation rend le produit transformé ou préparé à partir de cette denrée impropre à la consommation », souligne le toxicologue Fabrizio Pariselli, directeur de l’unité de prévention du risque chimique au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
L’oxyde d’éthylène peut interagir avec de nombreux composants
C’est également ce que stipule la réglementation européenne… que les industriels ont tenté de faire assouplir l’été dernier, sans succès. « L’approche actuellement en place en Europe est la plus sûre, estime Fabrizio Pariselli. C’est une approche conservatrice, mais je pense que, dès lors qu’on a affaire à une substance aussi réactive, c’est ce qu’il y a de mieux à faire. »
L’oxyde d’éthylène peut en effet interagir avec de nombreux composants, et il est alors difficile de savoir ce qu’il devient au contact des ingrédients qui composent un aliment. Sans compter qu’il s’agit d’un cancérogène avéré. Sa seule présence entraîne donc un risque pour la santé.
Plus on est exposé, plus le risque de cancer augmente
« Nous ne sommes pas en capacité de déterminer un seuil au-dessous duquel il n’y a aucun risque de développer un cancer », précise Fabrizio Pariselli. Ce qui est sûr, c’est que « plus longtemps on va être exposé à cette substance, plus on augmente le risque supplémentaire d’avoir un cancer ». Et cela fait déjà un an et demi que les premières contaminations ont été révélées…
À DÉCOUVRIR >>> Toutes nos enquêtes sur les aliments contaminés à l’oxyde d’éthylène
Une inconnue demeure, le risque supplémentaire selon la dose. « C’est tout l’enjeu de cette problématique : pouvoir déterminer cette probabilité supplémentaire », ajoute le toxicologue.
À quand une évaluation officielle des risques ?
Pour calculer ce risque supplémentaire, il faudrait commencer par connaître l’exposition de la population à l’ETO. Une tâche généralement menée par les autorités sanitaires qui, grâce à leurs études dites « de l’alimentation totale », surveillent l’exposition de la population française à un grand nombre de substances.
Malheureusement, elles ne se sont pas encore penchées sur l’oxyde d’éthylène. En février 2021, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) expliquait à 60 Millions que « la difficulté de reconstituer une exposition réaliste n’incite pas à déployer une évaluation des risques rétrospective qui serait menée avec de fortes incertitudes sur le scénario d’exposition ».
Anses, DGCCRF, Inrae… Tout le monde se renvoie la balle
De nouveau interrogée sur le sujet début 2022, l’Anses nous a répondu que cette évaluation n’était pas de son ressort. Elle ajoute que « l’oxyde d’éthylène est un produit chimique dont l’efficacité (en matière de désinfection) et la toxicité (dont le caractère cancérogène, mutagène, reprotoxique) sont connues » – et nous invite à contacter la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Lorsque nous avons demandé à la DGCCRF des informations sur les risques sanitaires liés à l’ingestion d’ETO à travers l’alimentation, elle nous a suggéré de nous tourner… vers l’Anses. Même son de cloche du côté de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).
Pendant que tout le monde se renvoie la balle, nous continuons de manger régulièrement des produits qui ont été traités avec de l’oxyde d’éthylène. Il serait temps que les consommateurs sachent vraiment quels risques ils courent.