Un mois après la diffusion de « Patrimoine de Macron : ou sont passés les millions ? », le président de la République n’avait pas réagi au témoignage selon lequel une partie des émoluments lui ayant été promis pour son rôle dans le rachat de la branche nutrition infantile de Pfizer par Nestlé en 2012 (pour un montant de 9 milliards d’euros) aurait été provisionnée dans un « trust » anonyme en Grande-Bretagne. L’hypothèse que chez Rothschild and co, les associés-gérants soient parfois rémunérés sous forme de « bonus » versés en Grande-Bretagne, à ce jour démentie par la banque, nous a été confirmée par une seconde source.
Suite à la diffusion de notre documentaire, une seconde source a souhaité témoigner auprès de Off investigation. Rencontrée à plusieurs reprises à Paris, elle nous a indiqué qu’un de ses proches, associé-gérant chez Rothschild (aux « fusions-acquisition », comme Emmanuel Macron en 2012) perçevait depuis plusieurs années d’importants revenus versés en France, mais aussi des « bonus » liés aux opérations de fusion-acquisitions auxquelles il avait été associé versés, eux, « en Angleterre ». Et donc pas fiscalisés en France. Vérification faite, le banquier évoqué par cette seconde source est bien associé-gérant chez Rothschild, c’est un français résidant à Paris, en charge des fusions-acquisitions, et ce depuis plusieurs années. Ce second témoignage recoupe donc en partie celui de notre première source. Plus proche de la banque, cette dernière apportait une précision de taille : ces « bonus » versés « en Angleterre » par Rothschild and co seraient parfois provisionnés dans un trust anonyme basé dans les Iles anglo-Normandes. Particulièrement embarrassantes pour Emmanuel Macron, nos révélations et ces deux témoignages ont été accueillies par un surprenant silence présidentiel.
Pas de démenti d’Emmanuel Macron
Dès le 23 mars 2022, soit six jours avant la diffusion de notre documentaire, nous interrogions l’Elysée par mail à propos des 720 000 euros de BIC déclarés par Emmanuel Macron pour 2012 dans les termes suivants: « ce montant intègre-t-il l’ensemble des commissions qu’il a perçues sur le Deal Pfizer/Nestlé ? Sinon, quels sont les motntants perçus par Emmanuel Macron sur cette opération ? Sur ces montants, combien ont été fiscalisés en France ? Et combien à l’étranger ? ».
L’Elysée ne nous apportait aucune réponse. Le 25 mars, nous insistions par téléphone auprès de l’Elysée sur la gravité des affirmations de notre témoin. Sans obtenir de réponse.
Suite à la diffusion, le Président de la République a persisté à ne démentir aucun des faits rapportés dans notre documentaire :
– Il n’a pas nié avoir échappé durant plusieurs années au paiement de l’impôt sur la fortune grâce à des estimations immobilières que le fisc a jugé « sous évaluées » en 2015. Il n’a pas démenti avoir été redressé fiscalement pour les années 2013 et 2014.
– Il n’a pas démenti que dans ses déclarations de patrimoine adressées à la HATVP en 2014 et 2017, il avait omis de mentionner à son actif une somme de 350 000 euros mise à la disposition de son épouse pour qu’elle puisse rénover sa maison du Touquet. Ce bien appartenant en propre à Brigitte Macron, elle lui devait pourtant cette somme (à moins qu’il ne lui ait accordé une «libéralité », ce dont Emmanuel Macron n’a jamais fait état). Dans ses déclarations, Emmanuel Macron avait en revanche inscrit ces 350 000 euros à son passif, pour les avoir empruntés au Crédit Mutuel fin 2011. S’il avait mentionné la créance de 350 000 euros sur son épouse, son patrimoine n’aurait pas été de 308 000, mais de 658 000 euros. Voire 808 000 euros si on retient la somme de 500 000 euros dévolus aux travaux du Touquet évoquée par le « camp Macron » auprès du Journal du Dimanche en 2017.
– Il n’a pas démenti que les travaux dans la maison du Touquet et le remboursement de ses dettes avaient été financés respectivement (au moins en partie) par les 350 000 euros empruntés fin 2011 au Crédit Mutuel et par la vente de son appartement parisien pour un montant de 980 000 euros en 2015. Et non pas par les millions qu’il avait gagné chez Rothschild, comme il l’affirmait sur France 2 dans l’Emission politique le 6 avril 2017.
– Il n’a pas démenti que la gratification convenue pour son rôle clé dans le rachat de la branche nutrition infantile de Pfizer par Nestlé en avril 2012 ait pu se composer d’un premier montant versé en France en 2012 sous forme de « bénéfices industriels et commerciaux » (BIC) et d’un second provisionné dans un « trust » anonyme (un instrument juridique opaque représenté par un prête-nom) comme ce serait généralement le cas pour les associés-gérants de Rothschild and co selon notre source. Suite à la diffusion de notre enquête, une source anonyme au sein de son équipe de campagne s’est contentée de déclarer à l’AFP : « pas de fraude, pas de faits, pas de preuves ».
La prudence de Rothschild and co
Durant toute notre enquête, à l’exception d’un mail qu’Olivier Labesse, le communicant de Rothschild and co, nous a adressé le 17 février 2022 pour nous indiquer que concernant les montants perçus par la banque lors du « deal » Pfizer/Nestlé, « les honoraires versés à l’entreprise pour une opération de conseil, quelle que soit sa nature, sont du ressort du client. Ils n’ont donc pas vocation à être rendus publics », la banque Rothschild and co s’est murée dans le silence.
Le mardi 8 mars 2022, par l’intermédiaire d’Olivier Labesse, nous demandions à connaître le montant perçu par Emmanuel Macron dans le « deal » Pfizer/Nestlé. Pas de réponse.
Le vendredi 25 mars 2022, nous adressions à Olivier Labesse le mail suivant: « Dans le « deal » Pfizer/Nestlé, M Macron aurait reçu une part significative de sa rémunération dans un « trust » basé à l’étranger. Certain que vous comprendrez l’importance de cette demande, je vous serais reconnaissant de bien vouloir demander une dernière fois à la banque Rothschild sa version des faits concernant la rémunération de M Emmanuel Macron dans le « deal » Pfizer/Nestlé et territoire de versement des honoraires de ses associés-gérants. Pas de réponse.
Le même 25 mars 2022 à 14h39, nous aressions à Olivier Labesse le texto suivant : « Bonjour M Labesse, notre enquête évoque des honoraires versés à M Macron dans un « trust » à l’étranger pour le « deal » Pfizer/Nestlé. Rothschild ne souhaite pas répondre ? » Pas de réponse.
Le 30 mars, au lendemain de la diffusion de notre documentaire, Olivier Labesse se contentait de nous transmettre par téléphone une « déclaration » à « porter à la connaissance de nos lecteurs et abonnés » : « Rothschild and co dément formellement les informations selon lesquelles les banquiers en France seraient rémunérés à l’étranger. Les banquiers en France sont rémunérés en France ». Ces éléments de langage bien tardifs transmis aussi à l’AFP sont à accueillir avec prudence pour au moins trois raisons.
D’abord, comme l’indiquait François Henrot, célèbre associé-gérant nommé « special senior advisor » par David de Rothschild en juillet 2021, à la banque Rothschild and co, « on apprend l’art de la négociation, mais on apprend aussi (…), et cela peut être utile en politique, à communiquer, a raconter des histoires… une histoire (…) on y apprend des techniques, pas de manipulation de l’opinion, mais de… un petit peu ». Rothschild and co aurait-elle cherché à manipuler certains confrères pour limiter l’impact de notre documentaire? Premier constat : si Olivier Labesse a contacté plusieurs journalistes pour affirmer que la banque « démentait » nos informations, Rothschild and co n’a en réalité publié aucun démenti officiel sur son site suite à la diffusion de notre enquête.
La « déclaration » selon laquelle les « banquiers en France » seraient « rémunérés en France » est un démenti laissant peu de trace. Pourquoi la banque Rothschild, qui a publié une dizaine de communiqués depuis deux mois, n’en a t-elle publié aucun pour démentir que ses associés gérants recevraient parfois des « bonus » versés à l’étranger ?
Suite à la diffusion de notre enquête, un fiscaliste interrogé par l’hebdomadaire Marianne confirmait que les associés travaillant pour les banques d’affaires « sont souvent dans une logique de fragmentation de leurs rémunérations » (comme la répartition 80%-20% évoquée par notre témoin). Ils profiteraient en effet de leur statut « à mi-chemin entre le salariat et de mandataire social pour créer en parallèle une société – une holding dans le jargon – qui percevra l’intéressement sur les deals auxquels ils participent ». De sorte que l’argent perçu « soit taxé à impôt sur les sociétés plutôt qu’à l’impôt sur le revenu et aux cotisations sociales ». Un témoignage recoupant partiellement celui de notre première source, qui indiquait que les associés gérants de Rothschild créaient des « petites sociétés ».
Dans Alternatives économiques, un banquier d’affaire ayant souhaité conserver l’anonymat recoupait le témoignage de notre source sur un autre point : il confirmait que le versement d’une partie des émoluments à Jersey, Guernesey ou l’île de Man dans un but d’optimisation fiscale était une pratique courante de certaines banques d’affaires : « Lorsque j’ai failli travailler pour une banque suisse dont je tairai le nom, on m’a proposé ce genre de montage salarial qui m’aurait permis d’être payé dans une île anglo-normande afin de réduire mes impôts ».
Le 1er avril 2022, après qu’un second témoin proche d’un associé gérant de Rothschild and co nous ait confirmé qu’au sein de la célèbre banque, des « bonus » étaient parfois versés « en Angleterre », nous demandions donc à Olivier Labesse de nous confirmer :
– que tous les émoluments des associés-gérants de Rothschild and co leur était bien versés via Rothschild and co
– que si certaines rémunérations sont versées via d’autres sociétés, ces sociétés sont toutes basées en France
– que les rémunérations ne sont jamais versées via des sociétés basées à l’étranger
– que le “deal” Pfizer/Nestlé a bien été conclu et signé en France. A la mise en ligne de cet article, Rothschild and co n’avait répondu à aucune de ces questions.
Malaise à Bercy
Le 23 mars 2022, nous posions au ministère des finances la question suivante :
« Dans les années 2000, les banques Lazard et Rothschild & Co ont négocié des accords fiscaux particuliers avec la Direction générale des Impôts concernant la fiscalisation des revenus de leurs associés gérants (M&A). Les opérations de fusions-acquisitions étant des activités transnationales, ces accords permettent qu’une partie de la rémunération des associés gérants soient fiscalisés à l’étranger afin notamment d’éviter les doubles impositions dans les pays concernés. Pouvez vous nous confirmer les dates ou ces accords ont été passés ?
– Avec la banque Lazard ?
– Avec la banque Rothschild ? »
Dans la foulée, un responsable du service de presse du ministère des finances nous répondait : « Les rescrits fiscaux nominatifs (particuliers ou entreprise) ne sont pas publics et sont couverts par le secret fiscal. C’est à l’entreprise concernée de communiquer sur ces informations ». Bercy ne démentait donc pas un article de Challenges révélant en 2012 que le 30 mars 2005, la Direction générale des impôts ait accepté – contre l’engagement de faire de Paris le “European hub” du groupe Lazard – que les revenus des associés gérants de cette banque (concurrente de Rothschild) en provenance de Lazard New-York (LAZ-MD Holdings et Lazard Group) soient traités en bénéfices industriels et commerciaux, avec un crédit d’impôt prévu dans une convention franco-américaine ». Selon l’un des négociateurs de l’accord interviewé en 2012 par Challenges, il aboutissait “à une très large exonération” des revenus des associés gérants de Lazard.
Bercy ne démentait pas non plus l’authenticité du rescrit fiscal d’aout 2007 (une sorte de note à l’usage des contribuables) cité dans notre enquête. Ce rescrit indiquait que pour certaines sociétés franco-britanniques, « la quote part des revenus correspondant à l’activité du limited liability partnership exercé au Royaume-Uni par l’intermédiaire d’une base fixe située dans cet Etat » n’était « pas imposable en France ».
Suite à la diffusion, Le ministère des finances n’a pas réagi auprès de Off-investigation. Mais suite à une question du député François Ruffin (La France insoumise) demandant à Bercy si un accord existait avec la banque Rothschild pour « défiscaliser hors de France les revenus de ses associés gérants», les services de Bruno Le Maire sortaient de leur silence pour déclarer : “Il n’existe aucun rescrit fiscal (accord entre l’administration et une entreprise, ndlr) entre Bercy et la banque Rothschild pour défiscaliser hors de France les honoraires des associés-gérants”. Dont acte. Mais sur Twitter, L’AFP présente ces rescrits comme des « accord entre l’administration et une entreprise ». En réalité, les « rescrits fiscaux » ne sont pas toujours des « accords entre Bercy et une entreprise ». Ce sont des sortes de notes à l’usage des contribuables pour leur indiquer comment interpréter les textes de loi ou les décrets. Ils ne sont donc pas forcément destinés à une entreprise. Ils peuvent être généraux, comme c’est le cas du rescrit de 2007 que nous évoquons dans notre enquête. En clair, la banque Rothschild n’a pas forcément besoin d’un « rescrit fiscal » qui lui serait spécifiquement destiné pour profiter de la mansuétude accordée le 30 mars 2005 aux associés-gérants de la banque Lazard. On voit d’ailleurs mal pour quelles raisons une défiscalisation partielle des revenus accordés aux associés-gérants de Lazard aurait pu être refusée aux associés-gérants de Rothschild, sauf à introduire une surprenante discrimination entre banques d’affaires. Par ailleurs, il est probable que Bercy n’ait en effet jamais autorisé explicitement que les revenus des associés gérants soient « défiscalisés hors de France ». Selon nos sources, Bercy a juste accepté que seule, une partie des émoluments des associés-gérants des banques d’affaires soient fiscalisés en France. Les éléments de langage d’une source anonyme au sein du ministère des finances nous sont donc apparus peu convaincants.
Le ministère des finances en conflit d’intérêts?
Autre fait qui interroge : Entre 2005 et 2007, au moment ou selon Challenges et notre source, Bercy autorisait les banques Lazard et Rothschild à ne fiscaliser en France qu’une partie des revenus de leurs associés gérants, la porosité entre la banque Rothschild et le ministère des finances atteignait des sommets. Nicolas Sarkozy ? Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie de mars à novembre 2004, il avait choisi comme directeur de cabinet François Pérol, qui deviendra l’un des plus influents associés-gérants de Rothschild and co entre 2005 et 2007, avant que Nicolas Sarkozy ne le nomme secrétaire général adjoint de l’Elysée en mai 2007. Jean-François Copé, ministre du budget de 2005 à 2007 ? il était proche de Grégoire Chertok, autre célèbre associé-gérant de Rothschild. Après l’avoir incité à entrer en politique via la Fondapol, un think-tank libéral dirigé par Dominique Reynié, Copé le choisira comme témoin de son second mariage, fin 2011. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie de 2005 à 2007 ? Quand il parti enseigner aux Etats-Unis, après son départ du gouvernement en mai 2007, il fut recruté comme « conseiller senior » de Rothschild and co, rejoignant à cette occasion l’important réseau de conseillers internationaux de la banque, dont l’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder ou encore l’ancien patron de Coca-Cola, Douglas Daft.
Contacté par Off investigation, le conseiller en communication de Thierry Breton, devenu commissaire Européen sur proposition d’Emmanuel Macron, minimise en précisant que l’ancien ministre chiraquien ne s’était mis au service de Rothschild and co que durant « quelques mois » et que c’était « parallèlement à une activité d’enseignant à la Harvard business school ». Interrogé sur les concessions accordées par Bercy aux banques d’affaires quand il dirigeait le budget, Jean-François Copé ne nous avait pas répondu à la publication de cet article
La HATVP et le PNF aux abonnés absents
Suite à notre enquête, plusieurs responsables politiques ont réagi. Christian Jacob, président des Républicains, a estimé sur Twitter : « Les accusations sont graves. Le président de la République a t-il menti sur son patrimoine ? Toute la lumière doit être faite sur cette affaire. Il en va de la crédibilité de la parole publique et de la classe politique toute entière ». Quand à Nicolas Dupont Aignan, il déclarait le 6 avril sur Public Sénat : « Il y a un président de la République qui devrait faire l’objet d’une enquête du parquet financier sur son patrimoine personnel, sur ses déclarations de patrimoine et sur l’affaire McKinsey. Et il n’y a rien ».
Suite à cette déclaration, le Parquet national financier annonçait avoir ouvert le 31 mars une « enquête préliminaire » pour « blanchiment aggravé de fraude fiscale », suite au rapport du Sénat sur l’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques. Mais rien n’indique que cette enquête visant notamment Mc Kinsey s’intéressera au patrimoine d’Emmanuel Macron.
Quand à la haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), elle s’est contentée de nous indiquer début 2022 qu’elle n’avait rien à ajouter à ses courriers en 2017 dans lesquels elle avait estimé « la Haute Autorité n’a révélé aucun élément de nature à remettre en cause le caractère exhaustif, exact et sincère de la déclaration d’Emmanuel Macron ». Pas sûr que la réelection du champion d’En Marche n’incite la HATVP et la justice à se montrer plus sourcilleuses…