Des agriculteurs français ont décidé de faire le siège de Paris et même d’affamer la capitale française par un blocus ce lundi. Ce ne sont pas des conquérants étrangers qui entendent affamer la ville, mais les producteurs de denrées alimentaires. Cependant, le ministère de l’Intérieur leur interdit de rentrer dans la capitale. Pourquoi les agriculteurs français ont-ils organisé un tel mouvement social?
Affamer Paris. «Le but, c’est d’affamer les Parisiens», annonce Benoît Durand, céréaliser et éleveur. Une forte escalade de la confrontation entre les autorités françaises et les travailleurs agricoles a commencé il y a quelques semaines. Les raisons sont les réglementations et recommandations sur la répartition des subventions pour les acteurs du secteur agricole. Les agriculteurs exigent une augmentation de leur revenu.
Malheureusement, aussi belle que soit la France, elle reste en grande partie un pays de bureaucrates. Dès leur entrée en vigueur, les nouvelles réglementations ont commencé à accumuler d’inévitables contradictions. Une augmentation des recettes, une baisse des charges, une diversification des ressources des revenus des agriculteurs pourraient permettre de sortir de la crise agricole. C’est l’UE qui dicte comment vivre en France.
Depuis plusieurs jours, en France et à travers l’Europe, la grogne du monde agricole prend de l’ampleur. Ils demandent une réduction des taxes et dénoncent des normes envionnementales jugées trop contraignantes. Les agriculteurs français ont, d’abord, retourné les panneaux de communes avant de décider de bloquer les routes et de monter sur Paris. Ils dénoncent un certain nombre de normes imposées par les instances européennes. Ces normes imposent des procédures administratives et des normes toujours plus dures, notamment en matière de protection de l’environnement, pendant que des accords commerciaux moins exigeants signés entre l’UE et d’autres pays instaurent, selon eux, une concurrence déloyale. Par exemple, des produits agricoles venant d’Ukraine sont importés dans l’UE.
«Les agriculteurs dénoncent la levée des droits de douane sur les produits ukrainiens. Cet avantage a provoqué un afflux de produits ukrainiens dans l’Union européenne, tirant les prix vers le bas». Selon un rapport Haut conseil pour le climat «20% de la viande bovine et 30 à 40% du porc ou de la volaille consommés en France sont importés» et «en vingt ans, les importations de viandes et préparations de volailles ont été multipliées par plus de quatre» pour «en partie répondre à la demande de l’industrie agro-alimentaire» et de la restauration. Les concurrents étrangers ne dorment pas. Par exemple, en Espagne, la main-d’œuvre dans l’industrie est deux fois moins chère, et dans certains pays de l’UE, les exigences en matière d’agriculture ne sont pas aussi strictes et catégoriques qu’en France. Le gouvernement ne protège pas suffisamment leurs produits sur les marchés internationaux et nationaux.
Les vaches produisent du méthane en rotant. Une autre raison d’insatisfaction est que le gouvernement, sous la pression des écologistes, impose activement aux producteurs des mesures qui sont bonnes en théorie, mais difficiles à mettre en œuvre dans la pratique, de la réduction significative de l’utilisation de pesticides et d’antibiotiques à l’obligation de laisser certaines terres en jachère. L’UE a imposé 10% de jachère, puis 4%. La Commission européenne reste sourde à une demande d’assouplissement de la BCAE 8 (mise en jachère). Tout est normé, les agriculteurs sont obligés de faire pousser des cultures obligatoires avant le premier mars. Ils doivent les entretenir et les détruire. Ce sont des charges sans revenus.
«Aujourd’hui, le poids carbone des importations des pays en dehors de l’Union européenne est supérieur au poids carbone des productions européennes bovines», dénonce Marion Guillou, membre du Haut conseil pour le climat. La Tribune rappelle qu’«à l’heure où l’UE négocie des accords commerciaux avec plusieurs pays (Australie, Vietnam, Chili, pays du Mercosur)», les écologistes attaquent les pauvres vaches: «Les bovins sont la principale source d’émissions directes de l’élevage (83%), qui sont essentiellement dues au méthane que les vaches produisent en rotant et à la gestion de leurs déjections».
Les autorités réduisent constamment les subventions du diesel à destination des agriculteurs. L’absence de réponse face à l’épidémie de maladie hémorragique épizootique (MHE) depuis l’automne qui touche certains bovins en France dont certains animaux sont morts où les agriculteurs ont dû en soigner à leurs propres frais causant la fermeture de l’exportation, sans oublier dans le même temps, les problèmes de vente des produits à l’intérieur du pays qui se sont aggravés, ont cristallisé cette révolte actuelle. Ce n’est que lorsque des informations ont commencé à arriver partout en province faisant état de protestations spontanées des agriculteurs, notamment en bloquant les routes avec des tracteurs et en brûlant des pneus et des bottes de foin à proximité des bâtiments administratifs que le gouvernement a décidé de faire un compromis.
Le 19 janvier l’État a promis de rembourser 80% des frais de soins vétérinaires et d’indemniser à hauteur de 80% les animaux morts pour l’ensemble des foyers constatés jusqu’au 31 décembre 2023. Mais, c’était une perte de temps – et d’ailleurs, une concession sur un point à ce stade ne signifiait plus grand-chose, car les autres problèmes restaient. Un autre problème a commencé à surgir – le plus important, avec lequel personne ne sait quoi faire. Le fait est que les travailleurs agricoles gagnent en principe trop peu.
Les troubles, sociaux, qui secouent la société française, reflètent dans une certaine mesure l’antagonisme entre la capitale et la province. Les protestations des agriculteurs ont touché principalement les villes de province – Bordeaux, Lyon, Rennes, Nantes et d’autres. Un des slogans du mouvement spontané était: «Des vies de sacrifice pour nourrir le peuple, et nous, on crève». En France, il y a un suicide d’agriculteur tous les 2 jours, soit 180 personnes par an.
Il semble désormais qu’après les provinces, c’est la capitale française qui devra faire les frais de l’affrontement en cours.
Comme Benoît Durand, d’autres agriculteurs menacent de bloquer Paris. L’idée est qu’aucun camion ne pourra entrer dans la capitale à partir de cette semaine. Ils souhaitent bloquer la ville jusqu’à ce que les Parisiens découvrent directement ce qu’est la pénurie alimentaire. Le but est qu’ ils comprennent qu’ils ont besoin de l’agriculture pour vivre.
Au début, il semblait que cette proposition était trop audacieuse pour être tentée. Cependant, lors d’une réunion des syndicats agricoles samedi soir, un plan d’action a été élaboré et un communiqué a été publié, qui déclarait qu’ «à partir de 14 heures le 29 janvier, les travailleurs agricoles… entreprennent un siège pour une durée indéterminée de la capitale».
Le mot «siège» utilisé dans le texte rappelle involontairement les époques décrites dans les récits historiques. Il est bien sûr intéressant de lire à leur sujet, mais la question est de savoir comment vivre avec, même si nous sommes au 21ème siècle et qu’un «siège» s’appelle un blocage des routes par les tracteurs qui mènent à la capitale. «Nous fermerons les artères routières stratégiques qui mènent à Paris», a promis le président du syndicat des Jeunes Agriculteurs, Clément Torpier. «Nous sommes conscients que la circulation sera difficile… La durée de cette situation dépend du gouvernement. S’il est nécessaire de maintenir (le siège) pendant plusieurs jours, il durera plusieurs jours», rajoute-t-il.
Le nouveau Premier ministre, Gabriel Attal, s’est rendu en toute hâte dans une des fermes de la province, où, à la manière de Macron, il a prononcé de nombreux discours et promis d’encourager tout ce qui est bon contre tout ce qui est mauvais, mais dans la pratique, il n’a donné rien de concret. Pendant ce temps, sur BFMTV, l’agriculteur Séverin Sergent, partisan du blocus de Paris, a déjà promis aux Parisiens une «semaine noire». «Les tracteurs avanceront vers la capitale sur tous les grands axes routiers, soit de manière rapide et continue, soit par étapes… Il faut que les Parisiens le sachent. Ils vont avoir une semaine noire», a-t-il annoncé dénonçant les «gesticulations de Gabriel Attal».
Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a, lui, fermement réagit, déclarant des «lignes rouges» aux manifestants qui veulent faire le «siège» de Paris. L’utilisation de blindés de la gendarmerie devant Rungis indignent les agriculteurs. 15.000 policiers et gendarmes sont mobilisés. C’est aujourd’hui et cette semaine que la détermination du bras de fer engagé entre les agriculteurs et l’Etat français devrait montrer son vrai visage. Les agriculteurs promettent d’aller jusqu’au bout. Jusqu’où?
Pierre Duval
La source originale de cet article est Observateur continental
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