Les mensonges blancs sont souvent prononcés pour protéger quelqu’un ou détourner les vérités dérangeantes. Le mensonge blanc du président américain Joseph Biden a dissimulé l’horrible vérité sur l’attaque israélienne au missile contre l’église baptiste de Gaza dans la nuit de mardi à mercredi, qui a coûté la vie à plus de 500 personnes.
Biden s’est probablement senti en sécurité parce que les crimes de guerre de qualité platine sont rarement examinés – Vietnam (massacre de My Lai), Afghanistan (frappe aérienne sur l’hôpital de Kunduz) et Irak (Fallujah). Néanmoins, il y aura procès devant la haute cour de sa propre conscience.
Si ce moment arrive, il lui suffira de lire un blog étonnant écrit par Jonathan Cook, journaliste britannique primé et auteur de Israel and the Clash of Civilisations, qui a été basé à Nazareth (Israël) pendant vingt ans : “C’est encore un moment du genre armes de destruction massive irakiennes. Nous sommes manipulés.”
Cook a écrit : “Il n’est pas seulement “improbable” qu’une roquette palestinienne ait touché l’hôpital de Gaza. C’est impossible. Les médias le savent, mais ils n’osent pas le dire“.
Biden le sait aussi. Lisez attentivement la remarque qu’il a faite mercredi, à son arrivée en Israël : “D’après ce que j’ai vu, il semble que ce soit l’autre équipe qui l’ait fait, pas vous. Mais il y a beaucoup de gens qui n’en sont pas sûrs“. (souligné par l’auteur).
Le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche, Jake Sullivan, qui a rédigé ces mots pour que Biden les prononce, a pris soin d’assortir sa déclaration de mises en garde. La déclaration de la porte-parole de la Maison Blanche, Adrienne Watson, qui a suivi quelques heures plus tard, a également tergiversé : “Alors que nous continuons à collecter des informations, notre évaluation actuelle, basée sur l’analyse des images aériennes, des interceptions et des informations de source ouverte, est qu’Israël n’est pas responsable de l’explosion survenue hier à l’hôpital de Gaza.” (souligné par l’auteur).
La grande question est donc la suivante : Pourquoi Biden s’est-il laissé aller à un mensonge blanc risqué ? Plusieurs facteurs entrent en jeu. La nouvelle de l’explosion à Gaza était déjà disponible mardi soir à Washington, alors que Biden et son entourage étaient assis sur la piste d’atterrissage en attendant de partir pour Tel Aviv, avec une anxiété lancinante quant aux résultats de la visite.
En effet, la visite était un pari. Pourtant, l’annulation du voyage était une “non-option“, car les impératifs de la politique intérieure et de la politique étrangère s’étaient alors coalisés de manière inséparable. Il suffit de suivre les critiques acerbes de Fox News à l’encontre de Biden et les demandes croissantes des Républicains de se venger de l’Iran pour avoir donné du pouvoir à la résistance palestinienne.
De même, Biden était conscient des malheurs de la tournée régionale entreprise par le secrétaire d’État Antony Blinken la semaine précédente. Blinken a essuyé des rebuffades et des coups de langue comme aucun de ses prédécesseurs n’en a probablement connu dans les capitales du Proche-Orient. L’influence des États-Unis dans la région est au plus bas.
Joe Biden savait qu’il devait agir – et être perçu comme tel. Il a également compris que l’aspect optique revêtait une grande importance pour Israël (un allié clé), pour Benjamin Netanyahu (un ami intime d’antan dont la carrière politique est menacée) et, bien sûr, pour Joe Biden lui-même (car sa candidature à la réélection est en jeu).
Sur le tarmac de l’aéroport de Tel Aviv, Biden a sorti de sa boîte à outils une “diplomatie de l’accolade” à la Modi. En donnant l’accolade à Netanyahou, Biden a fait d’une pierre trois coups : premièrement, il a fait taire les critiques du Parti républicain qui lui reprochait d’avoir apaisé l’Iran et négligé la sécurité d’Israël. Deuxièmement, Biden a souligné que même si les choses se corsent dans la guerre par procuration en Ukraine, les États-Unis soutiennent fermement Israël.
Plus important encore, il a mis en place des anneaux d’engagement autour de Netanyahou, bien que ce dernier soit en fin de parcours dans sa carrière politique, car il est la meilleure chance pour Washington de s’assurer que le comportement futur d’Israël reste réceptif à la persuasion des États-Unis.
Ce dernier point est essentiel. Les États-Unis ne recherchent pas un conflit régional au Moyen Orient. Biden comprend la soif de vengeance d’Israël à l’égard du Hamas, mais il est opposé à l’élargissement du conflit. Les États-Unis prennent au sérieux l’avertissement de Téhéran concernant une intervention directe si les attaques israéliennes se poursuivent. Mais Téhéran n’est pas non plus à la recherche d’un conflit.
Dans cette perspective, Biden a réaffirmé à Netanyahu le soutien indéfectible de Washington à l’autodéfense d’Israël, mais il a également exhorté ce dernier à “ne pas se laisser consumer par la rage” dans sa réponse à l’attaque du Hamas. Comme il l’a dit, “justice doit être faite. Mais je vous mets en garde : si vous ressentez de la rage, ne vous laissez pas consumer par elle. Après le 11 septembre, nous étions enragés aux États-Unis. Nous avons cherché à obtenir justice et nous l’avons obtenue, mais nous avons aussi commis des erreurs.”
Il faut certainement avoir le courage d’admettre ses propres erreurs pour conseiller la modération au gouvernement israélien actuel, qui est dominé par des forces ultranationalistes. Le chef du parti sioniste religieux, Bezalel Yoel Smotrich, est le ministre des finances d’Israël – un partisan de l’expansion des colonies israéliennes en Cisjordanie qui s’oppose à la création d’un État palestinien et nie l’existence du peuple palestinien.
Le chef du Otzma Yehudit, Itamar Ben-Gvir, est le ministre de la sécurité nationale de Netanyahou, qui a déjà été condamné pour avoir soutenu le groupe terroriste Kach, qui épousait le kahanisme, une idéologie sioniste religieuse extrémiste, que le journal Haaretz a décrit comme “l’homme de confiance” des extrémistes juifs et dont la liste des clients “se lit comme un ‘Who’s Who’ des suspects dans les affaires de terrorisme juif et les crimes de haine en Israël“.
Pourtant, après des heures d’entretiens avec Netanyahu et son cabinet de guerre, Biden a révélé qu’Israël avait accepté d’ouvrir la frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza aux livraisons de nourriture, d’eau et de fournitures médicales dont le besoin se fait cruellement sentir, après un blocus total de 11 jours. “Le peuple palestinien souffre énormément lui aussi, et nous pleurons la perte de vies palestiniennes innocentes comme le monde entier“, a déclaré Biden. “Les habitants de Gaza ont besoin de nourriture, d’eau, de médicaments et d’abris.”
Plus tard, lors d’une escale de ravitaillement à la base aérienne de Ramstein, en Allemagne, Biden a fait remarquer qu’”Israël a été gravement victimisé, mais la vérité est qu’il a l’occasion de soulager la souffrance de personnes qui n’ont nulle part où aller – c’est ce qu’il devrait faire“.
Le journal The Guardian écrit que “des responsables américains auraient tenté de convaincre leurs homologues israéliens, lors de réunions organisées pendant la visite présidentielle, qu’une réponse de style terre brûlée à Gaza provoquerait une catastrophe humanitaire, une perte du soutien mondial à Israël et peut-être une guerre plus large, sans éradiquer le Hamas“.
Ailleurs, dans un autre article, le Guardian notait également que “l’engagement émotionnel et politique de Biden en faveur d’Israël n’est pas contestable. Sa carrière le confirme, tout comme ses votes lorsqu’il était sénateur ; il s’est rendu en Israël à de nombreuses reprises, depuis l’époque de Golda Meir jusqu’à aujourd’hui. Le discours qu’il a prononcé à Washington la semaine dernière après les meurtres perpétrés par le Hamas était une déclaration morale exceptionnellement puissante de l’Israël auquel il s’identifie.
La raison la plus évidente de cette visite est que Biden a fait preuve de solidarité après le massacre du 7 octobre. Faire preuve d’empathie est l’une des forces par défaut de Biden. Mais il s’est également déplacé pour exhorter Israël à réagir de manière stratégiquement éclairée, en évitant les réactions excessives. L’escalade est contraire aux intérêts des États-Unis. Washington souhaite également maintenir la possibilité que les otages du Hamas, dont certains sont américains, puissent être rendus vivants.”
L’avenir nous dira dans quelle mesure Joe Biden a réussi sa mission. Il n’avait pas d’autre choix que de recourir à un mensonge blanc pour un avantage plus grand. Le point décisif survient alors que la crise des otages se prolonge. Biden semble espérer que les efforts déployés par Washington dans le cadre de la médiation du Qatar porteront leurs fruits. Si tel est le cas, cela aura un impact profond sur l’opinion américaine.
M.K. Bhadrakumar
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone