Du 22 au 24 août 2023, s’est tenu en Afrique du Sud le sommet des BRICS, qui était annoncé comme un front commun contre la globalisation, avec la participation confirmée en avance de 34 pays. Sans vouloir jeter un pavé dans la mare, il semblerait que cette grande fête antiglobale soit le Helsinki de la Russie : un cheval de Troie parfaitement contrôlé permettant de mettre en place les conditions favorables à sa déstabilisation, comme l’Acte de Helsinki le permis pour l’URSS, bien qu’il fut à l’époque lui-aussi célébré comme une grande victoire géopolitique dans le cadre de la politique d’endiguement occidentale. Si l’histoire se répète, il serait bon de s’en souvenir.
Les BRICS sont perçus en Russie comme la planche de salut contre la politique agressive d’isolement mise en oeuvre par l’Axe atlantiste et comme un instrument de construction d’un monde « plus juste ». Les déclarations plus enthousiastes les unes que les autres, tentent de présenter cette agglomération de pays à l’indépendance relative comme une unité – seule condition pour en faire un pôle de pouvoir. Beaucoup de questions se posent, au minimum, quant à l’indépendance face à la globalisation de pays comme la Chine ou l’Inde. La Chine, qui en est le centre de production de ce monde et a tout intérêt à ce que ça dure. Sans oublier le contrôle social normalisé et le fanatisme répressif de la politique du Covid zéro, particulièrement salué par les instances globales. C’est également cela, qui entre dans les BRICS. Ou l’Inde, qui est un parfait laboratoire d’ingénierie sociale, notamment en matière d’enseignement supérieur.
Certaines lignes d’activités laissent également songeur, quant à la profondeur de l’engagement anti-globaliste des BRICS. En matière d’enseignement supérieur et de recherche, l’on retrouve au sein des BRICS les mêmes mécanismes d’intégration (et de désintégration nationale), qu’au sein de n’importe quel organe global – puisque tel est sa fonction première, en tout cas véritable. Ainsi, depuis 2013, un Conseil scientifique fonctionne, qui a une fonction intégrative d’universités nationales et permet ainsi de déterminer les lignes de recherche au sein des pays membres. L’on y retrouve, comme il se doit dans toute haute société globalisée qui se respecte, par exemple, l’écologie et le changement climatique. What else ?
Peu avant la tenue de ce sommet, la question centrale était celle de la mise en place d’une monnaie unique. Idée, qui semblait suffisamment irréaliste et destructrice, si l’on en croit l’expérience de l’UE sur laquelle elle s’appuyait (voir notre texte ici), pour tirer la sonnette d’alarme. Heureusement, comme l’a souligné Lavrov lors de la conférence de presse à l’issue du sommet, cette idée est abandonnée, ce qui est bien le seul acquis de lutte contre la globalisation, puisqu’il s’accompagne de l’utilisation des monnaies nationales dans les rapports entre les pays des BRICS. Mais si ces pays voulaient utiliser leur monnaie nationale dans leurs échanges commerciaux avec d’autres pays, en quoi ont-ils pour cela besoin des BRICS ? Sinon, par principe, pour rester dans un cadre de gestion globalisée.
Sans entrer dans tous les détails technico-politiques de ce sommet, deux aspects méritent à mon sens une attention particulière : l’élargissement des BRICS et l’agenda droit-de-l’hommiste.
La décision d’élargissement des BRICS, sans modification de son appellation, a été prise lors de ce sommet. En soi, elle répond à la logique de tout organe global, qui doit tendre à se diffuser, permettant ainsi la mise en place de cette gouvernance globale à deux axes : horizontale (nombre de membres, pour couvrir un espace national de plus en plus grand) et verticale (avec des mécanismes intrusifs, permettant de contrôler de plus en plus étroitement ces espaces, c’est-à-dire de les désétatiser). Si l’on sort de la réaction affective que l’on retrouve dans le discours para-médiatique « pro-russe » se résumant à « puisque c’est la Russie, c’est-pas-pareil », la logique globaliste est bien présente dans le fonctionnement des BRICS, ce qui est normal. Même si ce n’est pas dicible, puisque la ligne éditoriale est celle de la lutte contre la globalisation.
Le choix des pays faisant partie de cet élargissement le souligne également, à l’exception de l’Iran et de l’Egypte, l’on y retrouve des pays pour le moins alignés : l’Argentine, pays laboratoire des réformes juridiques globalistes a été retenue, quand le Venezuela n’a pas été envisagé ; l’Ethiopie, pays pauvre avec un conflit ouvert sur ses frontières, est entré quand l’Algérie n’a pas été retenue, malgré son réel non-alignement et ses richesses ; les très alignés Emirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite sont entrés par la grande porte.
Il paraît que la France a joué avec l’Inde et le Brésil pour bloquer l’entrée de l’Algérie, qui logiquement, elle aurait eu sa place si cette organisation devait réellement lutter contre la globalisation. Rappelons aussi que l’Algérie soutient la Russie dans ce conflit en Ukraine et il ne serait pas surprenant que, justement pour cette raison, la Russie ait été privée d’un précieux allié.
Par ailleurs, la globalisation est aussi un contenu, un remplacement des valeurs et une autre échelle des priorités. L’on a déjà souligné l’axe écolo-réchauffement climatique, incontournable dans nos sociétés post-modernes. Mais la substantifique moelle de ce mode de gestion sont les droits de l’homme, qui ne se conçoivent évidemment que dans le cadre des organes de gouvernance globale. Et comme le déclare fièrement le Président sud-africain lors de la conférence de presse après ce sommet :
« (Les BRICS) ont l’intention de renforcer la coopération avec l’Assemblée générale des Nations Unies et l’OHCHR en matière de protection des droits de l’homme;«
Rappelons la déclaration du nouvel ambassadeur allemand en Russie, selon qui la ligne d’attaque ne change pas : déstabiliser par l’utilisation d’une confrontation géopolitique autour de l’axe des droits de l’homme. Et les Accords d’Helsinki de 1975, toujours interprétés en Russie comme une grande victoire diplomatique, sont conçus dans un tout autre sens en Occident : ils furent le cheval de Troie de l’Occident, qui a permis la déstabilisation de l’URSS. Un peu comme les Accords de Minsk, toute proportion gardée.
Les BRICS, seront-ils pour la Russie, ce que les Accords d’Helsinki furent alors pour l’URSS ? Espérons que la Russie retiendra les leçons de l’histoire. En tout cas, la déglobalisation ne peut se réaliser avec les mécanismes de la globalisation.
Karine Bechet-Golovko