par Alexander Rubinstein et Kit Klarenberg
…La CEDEAO comme arme néocoloniale
Alors que la CEDEAO a été officiellement fondée par le Traité de Lagos en 1975, son histoire officielle indique que les origines du bloc remontent à la création du franc CFA en 1945, qui a consolidé l’empire français d’Afrique de l’Ouest en une union monétaire unique. Publiquement, le mouvement a été décrit comme une tentative bienveillante de protéger ces colonies des conséquences de la forte dévaluation du franc français en 1945, suite à la création du système de Bretton Woods dominé par les États-Unis. Comme le ministre français des Finances l’a déclaré à l’époque :
«En signe de générosité et d’altruisme, la métropole, souhaitant ne pas imposer à ses filles lointaines les conséquences de sa propre pauvreté, fixe des taux de change différents pour leur monnaie».
En réalité, l’introduction du franc CFA a permis à Paris de maintenir des relations commerciales très inégales avec ses colonies africaines, à une époque où son économie a été ravagée par la Seconde Guerre mondiale et où son empire d’outre-mer s’est rapidement désintégré. La monnaie a rendu bon marché pour les États membres d’importer de France et vice versa, mais prohibitivement cher pour eux d’exporter n’importe quoi ailleurs.
Cette dépendance forcée en Afrique de l’Ouest francophone a créé un marché captif pour les Français, et par extension le reste de l’Europe. Cette dynamique, qui freine le développement économique régional depuis des décennies, persiste encore aujourd’hui. La domination continue du franc CFA garantit que les États d’Afrique de l’Ouest restent sous le contrôle économique et politique de la France. Ces pays africains sont impuissants à adopter des changements de politique significatifs, car ils manquent de contrôle sur leur propre politique monétaire.
Que la monnaie occupe une place si importante dans l’histoire autorisée de la CEDEAO est instructif, car le bloc a longtemps été critiqué comme une extension de l’impérialisme français. Ce n’est pas pour rien qu’en 1960, le président français de l’époque, Charles de Gaulle, a fait de l’adhésion au franc CFA une condition préalable à la décolonisation en Afrique.
Bien que la CEDEAO vise théoriquement à maximiser le pouvoir de négociation collective des États membres en favorisant «la coopération économique et politique interétatique», une telle harmonisation permet aux anciennes puissances impériales comme la France d’exploiter et d’affaiblir leurs pays constitutifs. Le bloc impose un cadre juridique et financier strict et approuvé par l’Occident à ses membres, et tout État qui s’écarte de ces règles est sévèrement puni.
En janvier 2022, la CEDEAO a imposé des sanctions strictes au Mali, incitant des milliers de personnes à descendre dans la rue pour soutenir le gouvernement militaire qui a pris le pouvoir en janvier de l’année précédente. Les efforts du nouveau gouvernement pour purger le pays d’une influence étrangère malveillante ont imposé une interdiction complète des médias français, une décision qui a été critiquée par l’ONU, mais encouragée par le Malien moyen.
La CEDEAO a appliqué des mesures similaires au Burkina Faso en réponse au coup d’État militaire de septembre 2022, qui a vu Paul-Henri Sandaogo Damiba démis de ses fonctions après seulement huit mois au pouvoir. Bien que Damiba lui-même ait été saisi par le coup d’État militaire, il y a eu peu de condamnation de la part des responsables occidentaux et peu de suggestions que la CEDEAO impose des sanctions – peut-être en raison de l’orientation pro-occidentale et du statut en tant que diplômé de plusieurs cours de formation d’élite de l’armée étatsunienne et du département d’État.1
Depuis 1990, la CEDEAO a mené sept conflits distincts en Afrique de l’Ouest, afin de protéger les despotes préférés de l’Occident dans toute la région. Entre 1960 et 2020, Paris a lancé 50 interventions distinctes en Afrique. Les chiffres des activités clandestines menées pendant cette période ne sont pas disponibles, mais les empreintes du pays se retrouvent dans de multiples élections truquées, coups d’État et assassinats qui ont soutenu des gouvernements conformes et corrompus au pouvoir dans tout le continent.
Comme l’a fait remarquer le président Jacques Chirac en 2008, «sans l’Afrique, la France tombera au rang de puissance du tiers monde». Cette perspective a été réaffirmée dans un rapport du Sénat français de 2013, L’Afrique est notre avenir. En effet, la simple existence de gouvernements anti-impérialistes partout dans la région est intolérable pour Paris.
Heureusement pour l’élite française, des personnages compromis comme Bola Tinubu sont toujours sur place pour faire leur sale boulot.
Jacques Chirac – La France pille l’Afrique
«On oublie seulement une chose. C’est qu’une grande partie de l’argent qui est dans notre porte-monnaie vient précisément de l’exploitation, depuis des siècles, de l’Afrique. Pas uniquement. Mais beaucoup vient de l’exploitation de l’Afrique. Alors, il faut avoir un petit peu de bon sens. Je ne dis pas de générosité».
source : The GrayZone via Le Blog Sam La Touch