Alors que le Sénat va prochainement examiner – à l’initiative du groupe LR – une proposition de loi « pour un choc de compétitivité en faveur de la Ferme France », je dénonce fermement la profonde régression consumériste et environnementale que constituerait l’adoption de ce texte.
Véritable lettre au Père Noël de la FNSEA avec en rayon une batterie de mesures que le lobby du « toujours produire plus » défend de longue date, son auteur, le Sénateur Laurent Duplomb (LR) se fait ainsi le porte-voix d’une agriculture toujours plus intensive et toujours aussi peu respectueuse de la biodiversité et de la santé des consommateurs.
Jugez-en vous-même, l’un des articles du texte autorise tout bonnement l’usage de drones sur les terrains agricoles permettant – je cite – « une pulvérisation aérienne de précision de produits phytopharmaceutiques ». Rappelons que l’épandage aérien est pourtant interdit depuis 2009 par une directive européenne du fait de risques élevés de dispersion dans l’air à proximité des habitations. Mais qu’importe puisque la dispersion envisagée dans le texte sera « de haute précision ». Les pesticides 2.0, épandus à coups de drones, il fallait y penser.
Si ce n’était pas suffisant, nouvelle trouvaille dans la besace – décidément bien garnie – du syndicat agricole, la légalisation à la hussarde des infrastructures de stockage de l’eau à des fins agricoles. Alors que ce type de projet accumule les débats et les critiques et que les sécheresses se multiplient, la proposition de loi prévoit de déclarer automatiquement d’intérêt général et sans véritable débat les ouvrages de stockage d’eau. Cerise sur le gâteau, afin d’aller encore plus vite en besogne, une réduction des délais de contentieux administratifs portant sur ces mêmes ouvrages est envisagée.
Vous en avez assez, il y en a encore. Main sur le cœur pour lutter contre ces carcans administratifs et « détendre le cadre normatif » de la réglementation environnementale décidément bien ennuyeuse, les porteurs de la proposition de loi souhaitent inscrire le principe de ne pas aller, sauf motif d’intérêt général, au-delà des exigences des directives européennes. Il s’agit pourtant d’une faculté indispensable à la libre disposition des États membres pour protéger plus rapidement les citoyens en cas de problèmes sanitaires.
Nouveauté qui fleure toujours bon le lobby agricole, l’ANSES (notre agence nationale en charge notamment de l’autorisation des pesticides, soumise depuis plusieurs semaines à un feu roulant de critiques émanant des lobbys agricoles, mais aussi de son ministre de tutelle) devrait modérément apprécier de se voir imposer un bilan « bénéfices risques » dans ses décisions intégrant dans la balance, en plus des impacts sanitaires et environnementaux déjà pris en compte, les impacts économiques. Diluer les enjeux sanitaires et environnementaux avec un critère économique, c’est ni plus ni moins donner un prix à la sécurité sanitaire et environnementale, c’est à proprement parler scandaleux.
Enfin, relevant d’ingéniosité, la proposition de loi souhaite faire un dernier petit cadeau pour la route aux fabricants de pesticides : revenir sur la séparation des activités de vente et de conseil des produits phytopharmaceutiques, rare avancée de la loi EGALIM de 2018. Cette dernière suggestion, affligeante, montre bien le degré de porosité qui existe encore entre la FNSEA, le lobby des pesticides et les pouvoirs publics, décidément bien en retard pour répondre aux enjeux de notre siècle.
En conséquence, j’exhorte les Sénateurs ayant un tant soit peu d’intérêt pour la santé humaine et l’environnement à rejeter cette proposition de loi dévastatrice.
Alain Bazot
Président de l’UFC – Que Choisir