En Angleterre, la commission d’enquête chargée d’évaluer la gestion du Covid a été rattrapée par la diffusion dans la presse de milliers de messages WhatsApp mettant directement en cause Boris Johnson et son ministre de la Santé, Matt Hancock.Les « lockdown files », surnommés ainsi par le « Daily Telegraph », le quotidien à l’origine des révélations, mettent au jour des milliers de messages échangés à l’époque de la pandémie, et montrent comment des décisions de santé publique touchant des millions d’Anglais ont été prises.
On y voit ainsi Boris Johnson sonder le conseiller médical en chef pour le Royaume-Uni, Chris Whitty, sur la possibilité de confiner uniquement les plus de 65 ans, après avoir lu un article dans le « Spectator » qui le suggérait. On y apprend que la décision d’imposer le masque dans les couloirs des collèges et des lycées a été prise uniquement pour éviter un « clash » avec Nicola Sturgeon en Ecosse.
Ces messages montrent aussi comment Matt Hancock a bataillé fin décembre 2020 pour fermer les écoles contre l’avis du ministre de l’Education , Gavin Williamson, qui souhaitait éviter de sacrifier la jeunesse. Gavin Williamson est lui aussi exposé dans ces conversations, où il accuse les enseignants de chercher « une excuse » pour ne pas travailler.
Tests dans les maisons de retraite
Pour Matt Hancock, le plus compromettant reste sans doute ces messages montrant qu’il est à l’origine de la décision, prise au début de la pandémie, de ne pas tester systématiquement toutes les entrées en maisons de retraite. Cette décision a contribué à la diffusion du Covid chez les plus âgés, l’une des raisons pour lesquelles la mortalité a flambé aussi rapidement en Angleterre.
Matt Hancock n’est plus ministre de la Santé depuis juin 2021, après avoir été contraint de démissionner pour avoir enfreint les gestes barrières avec sa maîtresse dans son bureau où une caméra avait été subtilement dissimulée dans le détecteur de fumée. Depuis, il a tenté de se relancer en politique, en participant à une émission de téléréalité, « I am a celebrity ».
Les diverses épreuves simulant une survie en pleine jungle, dans la boue, au milieu de crapauds et de serpents, ne lui ont pas permis de se racheter dans l’opinion. Suspendu du parti conservateur, Matt Hancock a annoncé en décembre qu’il ne se représenterait pas aux prochaines élections législatives.
Origine du grand déballage
Avant l’ouverture de la commission d’enquête publique sur la gestion de la pandémie, l’ex-ministre a voulu publier sa propre version des faits, dans un ouvrage, « Pandemic Diaries » (« Journal de la pandémie »), rédigé par une ex-journaliste politique du « Sunday Times », connue pour ses positions « anti-lockdown ». C’est de là qu’est venu ce grand déballage.
Durant les mois de rédaction, Matt Hancock a confié à la journaliste, Isabel Oakeshott, près de 100.000 messages WhatsApp échangés pendant la pandémie. Bien qu’ayant signé un accord de confidentialité, Isabel Oakeshott a malgré tout décidé de livrer l’ensemble de ces conversations au « Daily Telegraph » qui, après les avoir analysés pendant plusieurs semaines, en distille maintenant chaque jour les extraits les plus compromettants.
Revirement étonnant
Face a ce revirement étonnant, la journaliste, à l’origine de plusieurs grands scoops politiques mais dont la réputation en termes de fiabilité avait déjà souffert, a été invitée à s’expliquer sur la chaîne « Talk TV ». Elle assure qu’il n’y avait « rien de personnel contre Matt Hancock » et que sa décision a été motivée par « l’intérêt général ». « L’enquête publique ne rendra pas ses conclusions avant une décennie ou plus. Nous pourrions avoir une nouvelle pandémie le mois prochain, l’année prochaine. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre dix ans pour avoir ces réponses », justifie-t-elle.
En attendant, le leader de l’opposition travailliste, Keir Starmer, a demandé à ce que l’enquête publique indépendante rende ses conclusions « avant la fin de l’année ». Ce serait un tour de force, compte tenu du temps qu’il a fallu aux plus récentes commissions pour publier leurs travaux. L’enquête sur la guerre en Irak a duré près de sept ans, et même douze ans pour celle sur le Bloody Sunday.
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