Quel encadrement des nanos dans l’alimentation ?
L’interdiction du E171, additif composé de (nano)particules de dioxyde de titane, déjà en vigueur en France depuis 2020, a été étendue à toute l’Union européenne en août 2022.
Pour le reste, l’encadrement des nanos dans l’alimentation est relativement confus.
En France, les limites du registre r-nano empêchent une bonne appréhension des volumes et des usages de ces nanos alimentaires.
Au niveau européen, l’étiquetage des nanos dans l’alimentation, obligatoire depuis fin 2014, n’est pas respecté – alors que des tests ont confirmé la présence de nanos dans des produits vendus dans les rayonnages des supermarchés depuis 2016.
Et malgré l’obligation d’autorisation préalable à la mise sur le marché des denrées alimentaires contenant des nanos, la connaissance et la surveillance de l’innocuité des nanomatériaux dans l’alimentation demeurent très limitées, largement en deçà de ce que la société civile et les députés européens les plus sensibilisés aux risques demandent depuis des années désormais.
En France, le registre r-nano est quasi inopérant pour surveiller les nanos dans l’alimentation
La France est le premier pays à avoir exigé des industriels, depuis 2013, une « déclaration annuelle des substances à l’état nanoparticulaire » afin d’obtenir plus d’informations sur les nanos. Cependant les données que les industriels fournissent à l’ANSES et qui sont compilées dans le registre r-nano ne sont pas accessibles au public : beaucoup restent confidentielles, au nom du respect du secret industriel ou commercial.
En outre, en 2016 et 2017, aucune déclaration n’avait été faite pour le E171, ce colorant alimentaire qui contient des nanoparticules de dioxyde de titane. L’argument avancée à l’époque : le fait que cet additif contiendrait moins de 50% de particules sous la barre des 100 nm, seuil en deçà duquel la déclaration n’est pas obligatoire. Il y a donc beaucoup de nanoparticules utilisées dans l’alimentation qui ne sont pas déclarées… Et pourtant la « fabrication de produits alimentaires » est le quatrième secteur d’utilisation des nanos présentant le plus grand nombre de déclarations dans r-nano.
Enfin, la traçabilité des nanomatériaux dans le domaine de l’alimentation est aujourd’hui incomplète car le dispositif r-nano, tel que conçu actuellement, ne permet ni au public ni aux autorités sanitaires d’identifier les produits finis (alimentaires et autres) dans lesquels les nanos déclarées sont incorporées.
Dans toute l’Europe, l’étiquetage des nanos dans l’alimentation, bien qu’obligatoire, n’est pas respecté
L‘étiquetage des nanomatériaux dans l’alimentation obligatoire en Europe depuis décembre 2014
Depuis décembre 2014, le consommateur aurait dû voir apparaître des mentions [nano] dans les liste d’ingrédients des denrées alimentaires.
C’est du moins ce qui est prévu par le Règlement dit « INCO » sur l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires de 2011 (suite à une demande exprimée par le Parlement européen dès… 20093).
Son article 18, alinéa 3, stipule en effet qu’à compter de la mi-décembre 2014 « tous les ingrédients qui se présentent sous forme de nanomatériaux manufacturés sont indiqués clairement dans la liste des ingrédients. Le nom de l’ingrédient est suivi du mot « nano » entre crochets ».
Dans les faits, de très rares mentions [nano] sur les étiquettes…
Pourtant, depuis 2014, très peu d’étiquettes de produits alimentaires comportent la mention [nano] :
Veille : très peu de mentions nanos sur les étiquettes en France
- Le seul produit identifié entre 2014 et 2016 contenant de la silice étiquetée [nano] a été une poudre de tomate Auchan, repérée par l’association de consommateurs CLCV en 2014 et aujourd’hui retirée du marché.
- Courant 2016 et jusqu’en janvier 2017, l’association Agir pour l’Environnement n’avait trouvé aucune mention [nano] sur les listes d’ingrédients des produits alimentaires vendus dans les supermarchés français, alors que ses tests ont confirmé les soupçons de présence de nanoparticules non étiquetées dans plusieurs produits alimentaires
- En mars 2017, nos veilleurs nous ont signalé la présence de la mention [nano] sur l’étiquette de compléments alimentaires.
- En août 2017, le magazine 60 millions de consommateurs a révélé que les 18 produits sur lesquels l’association a fait réaliser des tests contenaient eux aussi des nanomatériaux, non étiquetés
- Depuis fin 2017, la DGCCRF (répression des fraudes) a égrené des résultats partiels de ses analyses, qui viennent confirmer celles publiées par les associations mentionnées plus haut : dans la quasi totalité des produits alimentaires testés, des nanoparticules ont été détectées… sans que l’étiquetage comporte de mention [nano], à une exception près.
- En février 2018, l’UFC Que Choisir a déposé plainte contre des fabricants de produits alimentaires pour non-respect de l’obligation de l’étiquetage [nano] sur des produits pourtant positivement testés comme contenant des nanoparticules.
Dans les autres pays européens, la situtation est similaire, les associations ont effectué les mêmes constats : les Amis de la Terre Allemagne, l’association italienne de consommateurs Altroconsumo, le magazine belge Test santé et le magazine espagnol OCU-Compra Maestra ont publié des tests similaires, avec toujours le même constat : plusieurs années après sa date d’entrée en vigueur, l’obligation d’étiquetage [nano] dans l’alimentation n’est appliquée nulle part !
Pourquoi un tel silence de la part des marques ?
Plusieurs raisons peuvent expliquer le silence des marques : réticence par peur de voir les consommateurs se détourner de leurs produits, ignorance (réelle pour certains, feinte pour d’autres), informations incomplètes ou erronées de la part de leurs fournisseurs et/ou de leur branche professionnelle, etc.
Mais aucune marque ne peut plus faire la politique de l’autruche : même celles qui ont des attestations de la part de leurs fournisseurs (certifiant que leurs ingrédients ne sont pas des nanomatériaux) peuvent être inquiétées. Car d’un point de vue juridique, les marques ont l’obligation de vérifier ce qu’elles mettent dans leurs produits ; celles qui se reposeraient sur les attestations incomplètes ou erronées de leurs fournisseurs peuvent donc aussi être poursuivies au pénal.
En France, le laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE) est le laboratoire de référence sur le sujet. L’UT2A de Pau travaille également sur la détection des nanoparticules dans l’alimentation.
Quid des contrôles et sanctions de la part des pouvoirs publics ?
Des « inspections communautaires » ont été réalisées en France en 2017 ainsi que dans trois autres États membres de l’Union européenne (Grèce, Lituanie, Portugal) pour vérifier la mise en œuvre de la réglementation INCO (donc de l’étiquetage [nano] dans les aliments).
La France est l’État membre qui a été le plus proactif en matière de contrôle de l’obligation d’étiquetage [nano] dans l’alimentation. Fin novembre 2017, elle a présenté sa démarche au comité d’experts du Règlement INCO au niveau communautaire et s’est engagée à mettre à la disposition des autres Etats membres ses méthodes d’analyse.
De fin 2017 à fin 2018, la DGCCRF (répression des fraudes) a présenté des résultats partiels de ses analyses, qui sont venus confirmer celles publiées par les associations mentionnées plus haut : dans la quasi totalité des produits alimentaires testés, des nanoparticules ont été détectées… sans que l’étiquetage comporte de mention [nano], à de très rares exceptions près.
L’association Agir pour l’Environnement a alors vivement critiqué l’inertie des autorités : » En n’engageant pas de poursuite immédiate contre les fabricants, les pouvoirs publics continuent de dédouaner les industriels pris dans le pot de nanos et leur permettent de continuer à gagner du temps, comme ils le font depuis des années sur ce sujet. C’est le jeu du « pas vu, pas pris » qui va pouvoir perdurer ! Cette nouvelle forme de procrastination judiciaire est proprement scandaleuse ! ».
La DGCCRF a ensuite durci le ton en insistant sur le fait que les entreprises pour lesquelles les analyses montreraient un manquement à l’obligation d’étiquetage sont susceptibles d’être poursuivies ; la DGCCRF peut en effet transmettre des dossiers au Parquet pour que des poursuites judiciaires soient engagées, avec des demandes de mise en conformité des étiquetages et des poursuites pénales (contraventions de 5ème classe : ~1.500€), voire, pour les faits de tromperie (en cas de dissimulation manifeste de la présence de nanos dans le produit), des peines pouvant aller jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 300.000 € d’amende (article L454-1 du code de la consommation).
AVICENN a interrogé à plusieurs reprises la DGCCRF pour savoir quelles analyses avaient été menées après 2018 sur les nanos dans l’alimentaire, mais n’a pas reçu de réponse sur ce point.
Un étiquetage sous influence des lobbys
La Commission européenne sous la pression des lobbies industriels ?
A partir de 2013, sous l’influence des lobbys de l’agroalimentaire, la Commission européenne a cherché à contrevenir à cette obligation d’étiquetage (pourtant règlementaire !) en demandant à ce que la mention [nano] ne figure pas sur la liste des ingrédients déjà utilisés « depuis des décennies », afin de ne pas jeter la confusion parmi les consommateurs (sic).
Après différents rebondissements, la Commission a indiqué fin 2014 qu’elle allait présenter une autre proposition de révision du Réglement INCO au Parlement et au Conseil des ministres en février 2015, mais cette proposition a été suspendue aux résultats de la révision du Règlement relatif aux nouveaux aliments (Novel Foods) intervenue en octobre 2015 après de longs mois de retard.
Pendant tout ce temps, l’industrie a pris prétexte de la confusion créée par la coexistence de définitions différentes pour ne pas appliquer l’obligation d’étiquetage. Mais depuis fin 2015, cette confusion a été levée, car la définition du Règlement « Nouveaux aliments » a finalement repris à l’identique celle du Règlement INCO.
Les industriels ont ensuite porté ensuite leurs espoirs (et ses efforts ?) vers la révision du nouveau Règlement « Nouveaux aliments » et vers la révision de la définition du terme « nanomatériau »: une définition plus « lâche », leur permettrait de se soustraire, légalement cette fois, à l’étiquetage tant redouté… En 2022, ce chantier est toujours en cours.
Le contre-lobbying citoyen
Face à cette situation contraire à la transparence et au respect des consommateurs, le contre-lobbying citoyen a commencé à se mettre en place :
- AVICENN avait résumé en 2013 les enjeux et défis en vue d’une plus grande transparence et vigilance des nanos dans l’alimentation, avec la mise en ligne sur le site veillenanos.fr de la première version du dossier « Nano et Alimentation » (complété depuis)
- En 2016, les tests réalisés par Agir pour l’Environnement ont permis d’illustrer concrètement les failles dans la mise en oeuvre de la loi et d’appuyer les recommandations émises par les associations dans le cadre du groupe de travail étiquetage / restriction des nanomatériaux piloté par le ministère de l’environnement.
- Parmi les onze mesures qu’AVICENN avait compilées en 2016 pour ce groupe de travail, figure la nécessité de mieux contrôler l’application de l’obligation européenne d’étiquetage et de la renforcer au niveau français.
- En janvier 2017, suite à la publication de l’INRA sur les dangers du E171, qui stipule à tort que « le E171 n’est pas soumis à l’étiquetage « nanomatériau » puisqu’il n’est pas composé à plus de 50% de nanoparticules », AVICENN a demandé à la DGCCRF de communiquer sur l’obligation d’étiquetage : notre requête a abouti à la publication du communiqué « Produits alimentaires : étiquetage obligatoire pour les nanomatériaux manufacturés » le 24 février 2017 sur le portail du ministère de l’économie.
- En mars 2017, l’association Agir pour l’Environnement (APE) a mis en ligne, le site http://www.infonano.org, une base de données qui répertorie aujourd’hui plus de 300 produits alimentaires suspectés de contenir des nanoparticules.
L’obligation d’étiquetage constitue certes une avancée mais qui reste limitée et n’est pas suffisante.
Quelle surveillance de l’innocuité avant la commercialisation des nanomatériaux dans l’alimentation ?
Plusieurs règlements européens prévoient explicitement la traçabilité et l’innocuité des nanomatériaux potentiellement utilisés par l’industrie agroalimentaire.
Une AMM requise pour les nanos dans le cadre du Règlement « Nouveaux aliments » de 2015
La deuxième version du Règlement « Nouveaux aliments » (Novel Foods), voté en octobre 2015 par le Parlement européen couvre désormais « les denrées alimentaires qui se composent de nanomatériaux manufacturés » définis comme suit :
« matériau produit intentionnellement présentant une ou plusieurs dimensions de l’ordre de 100 nm ou moins, ou composé de parties fonctionnelles distinctes, soit internes, soit à la surface, dont beaucoup ont une ou plusieurs dimensions de l’ordre de 100 nm ou moins, y compris des structures, des agglomérats ou des agrégats qui peuvent avoir une taille supérieure à 100 nm mais qui conservent des propriétés typiques de la nanoéchelle. Les propriétés typiques de la nanoéchelle comprennent:
i) les propriétés liées à la grande surface spécifique des matériaux considérés; et/ou
ii) des propriétés physico-chimiques spécifiques qui sont différentes de celles de la forme non nanotechnologique du même matériau »
Cette définition pourra évoluer afin d’être ajustée « au progrès scientifique et technique ou aux définitions convenues à un niveau international ». Le recours à un acte délégué permettra au Parlement européen d’avoir voix au chapitre sur la manière dont la définition est actualisée.
Les denrées alimentaires qui comportent des nanomatériaux manufacturés (nanoaliments) entrent dans le champ de novel foods, même si les ingrédients sont déjà connus.
Il doit désormais y avoir une demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour les « nanomatériaux manufacturés ».
Le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) et les députés européens verts Michèle Rivasi et José Bové auraient souhaité que le Parlement aille plus loin dans ses exigences afin d’encadrer plus strictement la commercialisation des nanomatériaux dans l’alimentation, notamment en adoptant une définition moins limitée et en demandant un moratoire sur la présence de nanoparticules dans les aliments tant qu’une procédure européenne adéquate d’évaluation sanitaire et environnementale n’a pas été mise au point.
Le cas des additifs (et l’interdiction du E171)
Les additifs alimentaires relèvent d’un autre règlement européen de 2008, lequel a prévu que l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) opère une nouvelle évaluation des additifs préalablement autorisés mais dont la taille des particules a été modifiée par l’utilisation des nanotechnologies17
Le programme de réévaluation des additifs déjà autorisés avant 2009 prend donc désormais ce critère en compte. Les deux additifs les plus courants et connus pour contenir une proportion importantes de nanoparticules :
- le E551, composé de silice amorphe (SiO2, dioxyde de silicium, classée parmi les additifs alimentaires comme anti-agglomérant) a été autorisé, y compris à l’état nano pour des usages précisément définis (denrées alimentaires en poudre, sucre, sel, assaisonnement, riz…) en 2009 ; un nouvel avis de l’EFSA a été publié en 2018 faisant état du manque de données permettant de conclure sur l’innocuité ou la toxicité de cet additif. Un appel à données a été ouvert par l’EFSA entre octobre 2018 et mai 2020 ; faute de données concluantes, l’autorisation actuelle de cet additif alimentaire serait révisée sur la base de l’avis scientifique actuel de l’EFSA et l’additif pourrait être retiré de la liste des additifs autorisés de l’Union européenne. (Il n’y aura pas de nouvel appel à données supplémentaires). En attendant, les publications scientifiques sur les effets néfastes de cet additif s’accumulent.
- Le E171, composé de dioxyde de titane (TiO2, additif utilisé comme colorant dans l’alimentation et les médicaments) a été interdit en France en 2020 puis au niveau européen en 2022 (au terme d’un long processus dans lequel les chercheurs, ONG et pouvoirs publics français ont joué un rôle significatif, conduisant l’EFSA à revenir sur sa réévaluation publiée en 2016, selon laquelle le E171 ne posait pas de problème de santé pour les consommateurs).
Près de dix ans après ses lignes directrices pour l’évaluation des additifs alimentaires de 2012 contenant des informations spécifiques requises pour la caractérisation des nanomatériaux, l’EFSA a publié en 2021 deux nouvelles séries de lignes directrices (« Guidance ») très importantes, avant d’organiser un atelier en 2022 apportant des précisions sur ces différents aspects.
Le cas des matériaux et objets en plastique en contact avec des denrées alimentaires
Dans les matériaux et objets en plastique en contact avec des denrées alimentaires, le Règlement européen PIM n°10/2011 prévoit que les substances sous forme nanométrique doivent faire l’objet d’une procédure d’autorisation spécifique par l’EFSA24.
Le cas des aliments destinés aux nourrissons et enfants en bas âge ainsi que ceux destinés à des fins médicales spéciales
Le Parlement européen a examiné à l’été 2013 en seconde lecture la proposition de « Règlement concernant les aliments destinés aux nourrissons et aux enfants en bas âge ainsi que les aliments destinés à des fins médicales spéciales » en cours de discussion depuis 2011.
Le Parlement européen, en juin 2012, avait recommandé « d’exclure les nanomatériaux de la liste de l’Union pour les catégories d’aliments couvertes par le règlement aussi longtemps que l’Autorité n’aura pas apporté la preuve de leur sécurité, sur la base de méthodes d’essai appropriées et suffisantes, de leur valeur nutritionnelle et de leur utilité pour les personnes auxquelles ils sont destinés ».
Le texte adopté stipule que « lorsque les méthodes de production sont sensiblement modifiées pour une substance utilisée conformément aux dispositions du présent règlement ou que la taille des particules de cette substance a changé (par le recours aux nanotechnologies, par exemple), cette substance devrait être considérée comme différente de celle qui a été utilisée conformément aux dispositions du présent règlement et elle devrait être réévaluée selon le règlement (CE) n°258/97 (Novel Food) et par la suite en fonction du présent règlement ».
Un enjeu important puisque selon une étude récente, les enfants consommeraient deux à quatre fois plus de titane que les adultes du fait de l’ingestion de sucreries ayant des niveaux élevés de nanoparticules de dioxyde de titane.
Quel traitement des nanos par les labels bio ?
Contrairement aux OGM, il n’existe pas d’incompatibilité déclarée entre nanomatériaux manufacturés et production biologique au niveau européen, mais cela devrait changer à partir de 2022 : le texte du nouveau règlement relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques prévoit l’exclusion des aliments contenant ou constitués de nanomatériaux manufacturés.
Du fait des difficultés techniques et du coût de la détection des nanomatériaux, la garantie « sans nano » apportée par les labels bio a pu être sujet à caution ; ECOCERT l’avait appris à ses dépens en 2012 dans le domaine des cosmétiques.
Les avancée techniques opérées ces dernières années permettraient néanmoins de réaliser des progrès dans le domaine.
Les défis pour les années à venir…
Ces différentes initiatives ou perspectives seront encore l’occasion de négociations et jeux d’acteurs dans les mois et années à venir, autour notamment des enjeux suivants.
La révision de la définition des nanomatériaux
La recommendation de définition du terme « nanomatériaux » a été révisée au niveau européen en 2022. Elle pourrait à terme être intégrée aux réglementations sectorielles, notamment en ce qui concerne l’alimentation. A quelle échéance ? Avec ou sans adaptations ? Pour l’instant, le flou domine…
La standardisation des tests de détection et caractérisation des nanomatériaux dans l’alimentation
Depuis quelques années, des progrès importants ont été réalisés en matière de détection / caractérisation des nanomatériaux dans les échantillons alimentaires et agricoles, même si les techniques et outils sont encore limités à un nombre relativement restreint de laboratoires.
Certaines marques tentent d’échapper aux exigences de la société civile et des autorités publiques en arguant de l’absence de méthode standardisée. Des travaux sont cependant en cours sur ces aspects. Et il est impossible désormais de balayer d’un revers de main les preuves obtenues par des laboratoires en microscopie électronique selon les recommandations des instances européennes et des meilleurs spécialistes du sujet.
L’intensification des travaux de recherche sur les risques liés aux nanos dans l’alimentation et les emballages alimentaires
Les risques liés à la présence de nanos dans l’alimentation ainsi que la migration des nanos (ou résidus de nanos) contenues dans les emballages alimentaires vers les denrées qu’ils contiennent constituent une question majeure pour les années à venir.
Pourtant, les travaux de recherche sur les risques sont encore trop rares. L’Anses a publié en 2021 un guide d’évaluation du risque sanitaire spécifique aux nanomatériaux dans les produits destinés à l’alimentation. La méthode proposée doit être testée par l’Anses sur des nanomatériaux manufacturés à partir de 2022. A suivre donc…
L’appréciation de la réelle « valeur ajoutée » de l’utilisation de nanomatériaux dans l’alimentaire
L’appréciation de la réelle « valeur ajoutée » de l’utilisation de nanos dans l’alimentaire est primordiale ; elle a été un facteur déterminant dans l’interdiction du E171, dont les risques ont été jugés supérieurs aux bénéfices (uniquement visuels). L’analyse bénéfices / risques doit par ailleurs être articulée avec des l’examen des solutions complémentaires voire alternatives, notamment quand les bénéfices ne justifient finalement pas les risques potentiels.
Ainsi que le comité consultatif commun d’éthique pour la recherche agronomique du CIRAD et de l’INRA l’avait affirmé en 2012 : « les problèmes agricoles, alimentaires et environnementaux auxquels les nanotechnologies proposent des solutions peuvent (…) être résolus en adoptant d’autres scénarios techniques, semblant laisser davantage d’autonomie aux populations locales et mieux valoriser les savoirs traditionnels. (…) Les nanotechnologies ne sont pas les seules solutions technologiquement innovantes, leur développement ne peut être encouragé qu’après appréciation comparative, au regard des finalités recherchées, des autres solutions existantes, ou possibles ».
Prenons l’exemple des emballages : pour les barres de chocolat, plutôt que de recourir à des emballages recouverts de nanocouches d’aluminium ou d’oxyde d’aluminium, les marques pourraient privilégier des solutions alternatives complémentaires : une sensibilisation des consommateurs sur le fait que le blanchiment du chocolat n’est pas une moisissure et n’empêche pas sa consommation ; une modification de la structure du chocolat pour diminuer migration des lipides responsable du blanchiment ; un meilleur contrôle de la cristallisation du beurre de cacao ; le tempérage.
Comme l’avait fait remarquer Didier Schmitt, scientifique et coordinateur de la prospective auprès de la conseillère scientifique principale et dans le bureau des conseillers de politique européenne du président de la Commission européenne, « ce n’est pas parce que des choses sont possibles – scientifiquement – qu’il faut les réaliser ; ce n’est pas parce qu’il y a une solution – technologique – qu’il y a forcément un problème à résoudre. Mais l’excès inverse – la négation du progrès – nous ferait jeter, à tort, les opportunités avec l’eau du bain. Il faut ainsi raison garder et trouver l’adéquation entre ce qui est réalisable – l’offre – et ce que nous voulons – la demande. Mais de quoi avons-nous vraiment besoin ? ».
Les réponses que pourraient apporter les nanotechnologies et nanomatériaux dans le domaine alimentaire ne doivent pas occulter les autres leviers permettant de prévenir les problèmes – potentiellement à moindres frais, pour un nombre plus important de bénéficiaires et avec des retombées plus larges tant sur le plan socio-économique qu’au niveau sanitaire et environnemental.
Des solutions complémentaires ont été expérimentées et donnent des résultats probants, notamment :
- la lutte contre le gaspillage alimentaire
- le développement de l’agroécologie
- l’articulation des savoirs scientifiques et des savoirs accumulés par des générations de paysans
- la maîtrise des pathogènes en amont des filières et en aval par l’application de règles élémentaires d’hygiène
- la relocalisation de l’agriculture et son corollaire, le développement des circuits courts de distribution alimentaire
- …
Les solutions nanotechnologiques, dans l’alimentaire comme dans d’autres domaines, ne doivent pas faire perdre de vue les réels besoins des populations auxquels il s’agit de répondre de façon pertinente, responsable et en gardant à l’esprit que si « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée », la vigilance collective est nécessaire et demande la participation de tous. A ce titre AVICENN entend poursuivre sa veille citoyenne sur ce domaine.
Par l’équipe AVICENN – Dernière modification août 2022