Le TRVE, ce fameux tarif « bleu » d’EDF encadré par les pouvoirs publics, connaîtra une hausse impressionnante de 108% hors taxes (99% TTC) dès le 1er février, a fait savoir le régulateur. Même si, pour l’instant, les ménages ne le ressentiront presque pas dans leurs factures, puisque le bouclier tarifaire de l’État limitera l’augmentation à +15% TTC, le rattrapage à venir promet d’être douloureux. Cela s’explique notamment par la construction de ce TRVE, auquel les concurrents d’EDF, qui ne produisent pas toujours d’électricité, doivent pouvoir s’ajuster en permanence.
Jusqu’ici, seul le tarif réglementé de vente de gaz (TRVG), cette offre d’Engie encadrée par les pouvoirs publics, avait plus que doublé sous l’effet de l’envolée des prix de l’énergie qui secoue les marchés depuis plus d’un an. Et pour cause, si l’Etat n’avait pas gelé cette offre dès octobre 2021, les ménages auraient payé 120% plus cher en décembre dernier.
C’est désormais aussi le cas pour l’électricité : le tarif réglementé de vente d’EDF (TRVE), lui non plus, ne protège plus du tout les consommateurs de l’extrême volatilité des cours. En effet, la Commission de régulation de l’énergie, l’instance chargée de calculer son évolution, a proposé jeudi une hausse de +108,70% hors taxes du TRVE par rapport au 1er février 2022, contre +44% l’année dernière ! Si celle-ci sera en réalité limitée à +15% TTC dès le mois prochain grâce au bouclier tarifaire déployé par l’Etat, une telle poussée interroge.
Car sur le papier, le TRVE devrait protéger bien mieux les ménages que son équivalent pour le gaz. D’ailleurs, malgré la pression exercée par Bruxelles pour le supprimer, il n’est pas prévu que cette offre disparaisse de sitôt en France : « Alors que le TRV gaz n’existera plus dès juillet 2023, le Conseil d’Etat a refusé que ce soit le cas pour l’électricité, jugeant que c’était un bien de première nécessité. Il n’a donc pas opté pour une ouverture complète à la concurrence », explique à La Tribune Xavier Pinon, courtier en énergie. Surtout, il est toujours possible pour un particulier d’y souscrire aujourd’hui, contrairement au TRV gaz – ce qui explique le regain exceptionnel de clients chez EDF ces derniers mois, avec la crise de l’énergie et la débâcle de nombreux fournisseurs alternatifs.
« Le rythme d’évolution du TRVE et sa méthodologie de construction diffèrent du TRV gaz, ce qui en fait un bien meilleur stabilisateur du marché. En effet, alors que le TRVG est revu tous les mois, et s’appuie sur l’évolution constante du marché, le TRVE n’est actualisé qu’une ou deux fois par an, et se calcule sur des indices à plus long terme », détaille un bon connaisseur des questions de régulation.
Le TRVE réplique les conditions d’approvisionnement des concurrents d’EDF
Comment se fait-il alors qu’une telle hausse soit possible ? En réalité, ce tarif calculé par la CRE s’avère très sensible à l’évolution des prix de l’électricité sur le marché de gros. Ce qui est, à première vue, contre-intuitif, puisqu’EDF produit assez d’électrons pour alimenter ses clients sans devoir acheter à prix d’or des mégawattheure (MWh) supplémentaires sur les bourses d’échange. Cependant, la réalité est bien plus complexe et tient, là encore, dans la volonté de libéraliser venue de Bruxelles.
De fait, pour permettre aux concurrents de s’ajuster au TRVE, celui-ci doit désormais refléter les conditions d’approvisionnement des fournisseurs autres qu’EDF. Or, ceux-ci ont été frappés de plein fouet par la flambée des prix, puisque contrairement à EDF, la plupart ne produisent pas leurs propres électrons et doivent donc les acquérir sur des marchés devenus fous.
« Cela se nomme le principe de contestabilité : au fur et à mesure que la part de complément marché des fournisseurs alternatifs augmente, ce qui est logique avec l’envolée des prix, il faut dans le même temps augmenter la part de complément marché dans le TRVE, afin que ces fournisseurs puissent concurrencer EDF. En fait, ce ne sont pas les concurrents qui s’adaptent au TRVE, mais le TRVE qui s’adapte à la structure de prix des concurrents », détaille l’économiste spécialiste de l’énergie Jacques Percebois.
L’Arenh ne suffit pas à limiter la hausse
Certes, ces concurrents d’EDF bénéficient de 120 térawattheures (TWh) d’électricité vendue à prix cassé par EDF, contre 100 TWh auparavant, via le mécanisme de l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique). En effet, en 2010, la production nucléaire s’élevant à environ 400 TWh par an en France, « il a été décidé que les fournisseurs alternatifs pourraient accéder à prix coûtant à 25% de celle-ci », développe Jacques Percebois. C’est pourquoi le plafond a été fixé à 100 TWh, afin de permettre aux concurrents d’EDF de jouer à armes égales avec l’opérateur historique, et de maintenir une concurrence que certains qualifient d’artificielle.
« Chaque client d’un fournisseur alternatif lui donne ainsi droit, en théorie, à 67 MWh d’Arenh », souligne Jacques Percebois.
Mais le nombre de ces commerciaux a explosé, jusqu’à atteindre près de 80 aujourd’hui dans l’Hexagone, d’ekWateur à Ohm Energy, en passant par Enercoop, Ilek ou encore Mint Energy. Résultat : ces dernières années, alors que de plus en plus de clients ont déserté EDF pour faire jouer la concurrence, le volume d’Arenh requis est lui aussi monté en flèche. Jusqu’à excéder largement le volume global disponible ; il a même atteint plus de 160 TWh en 2022.
Résultat : même avec le relèvement du quota à 120 TWh, les fournisseurs alternatifs doivent restituer la quantité d’Arenh qui leur est due en principe si celle-ci dépasse le plafond autorisé. Cette différence, qui se nomme l’écrêtement, les pousse donc à acheter la production manquante directement sur les marchés, augmentant par là-même considérablement leurs coûts d’approvisionnement. Et donc, par ricochet, le TRVE d’EDF.
Un coûteux rattrapage à venir
Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que ce dernier explose. Et même si les consommateurs en sont, pour l’instant, en bonne partie préservés grâce au bouclier tarifaire, la nouvelle n’a pas de quoi réjouir. Car le gouvernement l’a clarifié dès le début : les dizaines de milliards d’euros qu’il injecte afin de limiter les effets de la crise sur les ménages devront être « rattrapés » tôt ou tard.
En d’autres termes, les consommateurs n’auront d’autre choix que de prendre le relais du contribuable, et de payer un jour la différence entre le TRVE théorique calculé par la CRE, et celui qu’ils paient effectivement aujourd’hui. La facture promet d’être salée.