Une enquête de France Inter avec la cellule investigation de Radio France révèle qu’un malaise persistant règne parmi les agents du SIG. L’audit menée il y a un an pour lever le voile sur les pratiques de son directeur est contesté par une partie des employés. 15 agents et ex-agents nous ont parlé.
Marie* prenait le métro, à Paris, l’été dernier, lorsqu’elle a fait un malaise vagal. Elle rejoignait le grand immeuble Art déco situé derrière les Invalides, où sont logés différents services rattachés à Matignon, dont le Service d’information du gouvernement (SIG), qui l’emploie. C’est une spécialiste de la communication : elle travaille au « pôle 360 » du SIG, sur des campagnes gouvernementales. Dans la foulée, elle adresse un arrêt de travail à son chef pour un « burn-out ». Dans le message qui accompagne le document médical, que nous avons pu consulter, elle parle du « malaise professionnel » qu’elle ressent, de la « relation qui s’est dégradée avec le directeur » et de l’« ambiance professionnelle toxique » qui règnerait au SIG, un service chargé d’organiser la communication gouvernementale et d’informer Matignon sur l’état de l’opinion. Selon le témoignage d’une de ses collègues, cela faisait un an qu’elle venait au travail « la boule au ventre ». Elle n’y mettra plus jamais les pieds.
Interrogé sur le cas de Marie, Michaël Nathan, le directeur du SIG, nous affirme que « le pôle RH n’avait pas identifié de difficultés inhérentes à sa situation professionnelle malgré de nombreux échanges au cours des mois précédents » et que « la médecine du travail n’a jamais été saisie ».
Mais Marie n’est pas un cas isolé. Comme elle, beaucoup d’agents du SIG ont quitté le navire ces derniers mois. « Sur un an, 33% des salariés sont partis et souvent parce qu’ils n’en pouvaient plus », assure un syndicaliste de la maison. L’élu évoque un « climat de suspicion et de défiance généralisé ». Une autre source syndicale parle de 20 départs en « quelques mois », sur un effectif de 91 agents. « Le turn-over, c’est le clignotant orange pour nous », prévient l’un des représentants du personnel avec qui nous avons échangé. Mais ce ne serait pas la seule alerte. En septembre, cinq employés ont saisi les syndicats, pour dénoncer, selon leurs mots, un « management malveillant » et « la chasse aux sorcières » qui règnerait au SIG.
« Psychologiquement, il m’a détruite »
Cette « chasse aux sorcières » aurait débuté après la parution en juillet 2021 dans Le Monde d’une large enquête sur le « management brutal » en vigueur au SIG. Dans le viseur des 17 témoignages recueillis par le quotidien : Michaël Nathan, ses « humiliations » récurrentes, sa « grossièreté », sa « pression » de tous les instants. Michael Nathan, 44 ans, est un spécialiste du « marketing digital » qui a fait l’essentiel de sa carrière dans le privé, à LVMH ou à Dassault Systèmes notamment. Il dirige le SIG depuis octobre 2018.
Le 17 juillet 2021, au lendemain de la publication de cette enquête, le cabinet du Premier ministre Jean Castex, annonce à l’AFP qu’il confie un audit “à un cabinet extérieur et indépendant, spécialisé dans les questions de qualité de vie au travail” pour vérifier si “les allégations de relations de travail inappropriées au sein du SIG” sont vraies.
L’objectif, en tous cas officiellement, est de caractériser la “méthode Nathan”, que Charlotte*, une ancienne salariée partie récemment, et que nous avons rencontrée, nous résume ainsi : « Il est incapable de faire valoir son point de vue sans humilier les gens. Il me disait ‘il faut toujours être sur ton dos pour que tu avances’, ‘la note que tu m’as rendue, c’est un tissu de rien’, ‘tu es tout le temps en position de victime’”. “Avec lui”, reprend-elle, “c’est une gifle puis une caresse”. “Sous couvert de relation professionnelle à l’américaine – on se tutoie, on est tous copains – en fait il te défonce. Il m’a engueulée et il m’a fait pleurer devant mes équipes. Il a une carrure de rugbyman, il est impressionnant. Et quand il gueule, vraiment, ça fait peur. Chaque jour, je me faisais violence pour aller travailler. Psychologiquement, il m’a détruite. »
Un soupçon d’audit “pipé”
C’est le cabinet de conseil Uside, “spécialiste des mutations culturelles et des comportements”, qui hérite de l’audit à mener. Selon trois agents qui ont été interrogés dans le cadre de ce travail, et avec qui nous avons pu nous entretenir, les dés étaient « pipés ».
Le panel des personnes auditées, tout d’abord. Le cabinet a décidé d’interroger uniquement les cadres, de n-1 à n-3. Les agents de base qui voulaient témoigner pouvaient le faire, mais il fallait qu’ils en fassent expressément la demande. Résultat : « À trois exceptions près, c’est la cour » de Michael Nathan qui a été auditée, dénonce Aude*. Pour cette salariée du SIG, impossible de parler du management “brutal” du directeur, elle aurait été “reconnaissable”. “Je me suis sentie bridée”, expose-t-elle. “Par exemple, quand l’auditrice m’a demandé : est-ce que vous entendez Michaël Nathan crier ? J’ai répondu oui. Et elle m’a répondu ‘ah bon, mais personne d’autres ne m’a dit ça !’”
Interrogé sur le panel des personnes auditées, Uside confirme qu’il visait “principalement les encadrants de n-1 à n-3″, c’est à dire “les personnes en contact direct avec Monsieur Nathan”. Mais toutes les autres personnes “qui le souhaitaient” pouvaient “être entendues”. Michaël Nathan nous précise qu’“il a été confirmé lors du CHSCT extraordinaire du 28 juillet 2021 que l’ensemble des agents pouvaient témoigner sous couvert d’anonymat”. Et d’affirmer qu’il “n’était pas intervenu pour déterminer le périmètre de l’audit”.
“L’audit n’était pas libre”, renchérit pourtant Charlotte, qui a, elle aussi, été entendue. “La consigne c’était de sauver le patron”. « Lors de l’audit, j’ai menti par omission”, révèle-t-elle aujourd’hui au micro de France Inter. “J’en ai fait des caisses sur le mode ‘il a plein de choses à m’apprendre’, ‘il y a parfois des débordements, mais c’est lié à la grosse pression qu’il subit’. Je m’en veux parce que j’ai minimisé les faits en disant, ‘il est exigeant, mais il tire les gens vers le haut’”. Une autre employée du SIG qui elle aussi a quitté le service depuis, affirme que « des éléments de langage » ont été transmis aux proches de Michael Nathan pour sauver leur patron.
Sur ce point, Uside précise que l’objet de sa mission “était de faire un audit et non pas une enquête”. « Une enquête vise à instruire un contentieux en partant d’une plainte (…) alors qu’un audit consiste à identifier s’il y a une existence de situations à risques« . Quant au patron du SIG, il conteste formellement avoir fait passer des éléments de langage pour sauver sa tête.
« Ce n’est pas le monde des bisounours”
Un autre agent que nous avons rencontré n’en revient toujours pas de la remarque que lui aurait faite l’auditeur à la fin de son entretien : “Le monde professionnel, ce n’est pas le monde des bisounours”. Tout au long de cet échange, l’auditeur “n’a pas cessé de dégrader (s)on témoignage”, affirme-t-il. Ce que Uside réfute catégoriquement.
“Un audit, on lui fait dire ce qu’on veut, c’est vieux comme le monde”, regrette avec ses mots, un représentant du personnel rattaché aux services du Premier ministre.
Trois mois après l’article du Monde, les résultats de cet audit, que nous avons consultés, tombent*. “Les [24] interviewés ne se sentent pas victimes de harcèlement en ce qui les concerne”*, “aucune alerte [n’a été] remontée à travers tous les dispositifs existants”. Des “emportements avec un langage inapproprié” ont bien eu lieu, mais seulement de manière “occasionnelle” durant des “contextes de crise”. Michael Nathan est blanchi.
Une atmosphère de “chasse aux sorcières”
Une fois réhabilité, Michael Nathan, se serait “vanté” devant plusieurs employés d’avoir eu accès aux verbatim des personnes auditées, selon plusieurs personnes que nous avons interrogées. Des affirmations que le directeur du SIG, dément formellement auprès de France Inter, parlant de “calomnie” et de “ragot”.
Depuis un an en tous cas, les agents du SIG que nous avons interrogés disent vivre dans une atmosphère de “chasse aux sorcières” empreinte de défiance. “Les scènes d’humiliations, les grossièretés sont plus rares, moins aigües”, nous dit-on. Les mails et les messages sur Whatsapp sont cordiaux. Michael Nathan a-t-il changé ? “Oui, maintenant il dit bonjour aux gens”, ironise une ancienne cadre qui a quitté le navire. Mais le “management malveillant” dont parle un autre agent, serait toujours en place.
Une femme qui est arrivée depuis l’audit affirme qu’elle s’est vue gratifiée d’un “tu me fais chier” en tête à tête. Pour une autre, ce serait « tu me pètes les couilles » et « il faut lui mettre le nez dans sa merde ». Des propos que, là encore, Michaël Nathan “dément formellement avoir tenus”. “C’est une invention pure et simple”, nous a-t-il écrit.
Selon plusieurs sources, en 2021, Michael Nathan a fait capitonner son bureau pour l’insonoriser, mais des employés du SIG “continuent de l’entendre hurler ou taper sur la table à travers la porte”. Selon un agent toujours en place, le directeur du SIG “jette régulièrement un œil aux agendas numériques de ses employés, et si un rendez-vous prévu avec quelqu’un de l’extérieur ne lui plaît pas, il le fait annuler”. L’anecdote, impossible à vérifier, est révélatrice du climat de “suspicion généralisée” qui règne avenue de Ségur. “Il se mêle de tout”, résume Charlotte, citée précédemment, “même de la couleur de la chemise que vous utilisez pour ranger un dossier”. “Il peut vous rappeler à minuit pour une marge trop petite dans une présentation”.
Dans son compte-rendu de CHSCT du 22 septembre dernier, le SAPPM, l’un des principaux syndicats de la maison, juge que “des problèmes sont toujours présents au SIG”. Dans la foulée de ce CHSCT, le syndicat a envoyé un mail à tous les agents du SIG, dont chaque mot a été pesé au trébuchet. Le message se conclut ainsi : “Vous pouvez être rassuré sur le respect de l’anonymat et de la confidentialité de nos échanges.” Cinq employés du SIG ont saisi les syndicats à la suite de cet email pour faire part de leur “souffrance au travail”.
“C’est la première fois que je vois un système aussi institué de cour et de concurrence malsaine entre les chefs de départements”, témoigne un syndicaliste qui travaille pour les services du Premier ministre depuis plus de vingt ans. “C’est à celui qui aura les meilleures campagnes, les études les plus visibles”. Ce qui n’empêche pas ce témoin de trouver ce management “dur mais efficace”. Une “sorte de quoi qu’il en coûte” qui fonctionne. Ce qu’un autre syndicat résume ainsi : “Il demande aux gens d’être dispo tout le temps, et lui est dispo tout le temps. Là-dessus, il est exemplaire.”
De son coté, Matignon assure ne pas “avoir été saisi de nouvelles alertes d’agents en souffrance au travail depuis l’audit conduit par le cabinet Uside”. “Par ailleurs, nous ne sommes pas au courant des faits que vous mentionnez et qui relèveraient de la situation actuelle”, précise une porte-parole.
Un esprit de courtisanerie ?
Au-delà de ce management qualifié de “brutal”, certains agents du SIG s’inquiètent de l’esprit de “courtisanerie” qui animerait sa direction. Tous les lundis, le directeur du SIG se rend à l’Élysée pour une réunion avec le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, et le directeur de cabinet de la Première Ministre, Aurélien Rousseau. Il a sous le bras une note de synthèse stratégique hebdomadaire rédigée par ses équipes et envoyé dès le vendredi soir au cabinet d’Élisabeth Borne.
Selon les témoignages de trois agents qui travaillent actuellement au SIG, ces notes “sont souvent purgées des données trop dérangeantes” pour l’exécutif, comme le pourcentage élevé de Français qui anticipent une rentrée sociale agitée ou le niveau de colère important lié à la baisse de pouvoir d’achat, ce qui met en question le rôle d’alerte du SIG.
Dans une note récente par exemple, cet intertitre « rentrée gouvernementale : le spectre d’une rentrée complexe et agitée socialement » est ainsi devenu « rentrée gouvernementale – la question du cap du second mandat se fait plus prégnante » dans la version finale. Dans cette partie, l’énumération des mouvements sociaux prévus en septembre a été retirée. Et la phrase « près de neuf Français sur dix anticipent d’ailleurs une rentrée sociale agitée avec des mouvements sociaux de grande ampleur (88%, Elabe/bfm 23-24 août) » a également sauté.
Autre exemple : en avril dernier, quelques semaines après le début de la guerre en Ukraine, une note stratégique a été expurgée du mot “macroner”. Des agents du SIG pointaient l’effervescence des réseaux sociaux, en France et à l’étranger, autour de ce néologisme inventé par des Ukrainiens pour moquer la propension du président Macron à “se montrer inquiet d’une situation, sans rien faire”. Le document stratégique, signé par Michael Nathan, n’en portait plus la mention le lundi, comme nous avons pu le constater.
« Les notes sont régulièrement édulcorées”, assure un employé du SIG. “Il y a vraiment une volonté de plaire à l’exécutif liée à des considérations de carrières personnelles qui priment sur les missions d’intérêt général du SIG et ça ne rend pas service au politique ».
De tous temps, le SIG a été pris entre ces deux injonctions parfois incompatibles : accompagner la communication du gouvernement et l’alerter sur les mouvements de l’opinion. “Il enlève, il polit et c’est normal, c’est son rôle”, juge cependant une ancienne cadre du SIG. Interrogé sur ce point, Michaël Nathan réfute les procès en courtisanerie. “Chacun a le droit d’avoir une appréciation subjective de notre travail”, nous écrit-il. “Je suis responsable en mon nom propre des documents partagés auprès des différentes tutelles, les amender quand je le juge nécessaire est de ma responsabilité”.
Un budget qui explose
Autre grief qui revient souvent chez nos interlocuteurs. Le recours “excessif” de Michaël Nathan aux prestataires extérieurs : instituts de sondage, agences de publicité, d’informatique ou de design… Alors que des ressources existent souvent en interne, selon eux.
Selon nos informations, en 2016, le SIG a passé 48 marchés publics, c’est-à-dire 48 contrats. Aujourd’hui : 65. Et en 2021, comme en 2022, son budget a explosé. C’est ce qu’avait relevé, à l’occasion du projet de loi de finances pour 2022, le rapporteur spécial du Sénat, l’écologiste Paul-Toussaint Parigi. “Comme l’an passé”, écrit le sénateur de Corse, “les dépenses du service d’information du gouvernement pour la communication gouvernementale font l’objet d’une sous-budgétisation manifeste”. L’élu s’étonne de dépenses qui s‘élèvent à 30,2 millions d’euros, soit beaucoup plus que le budget initialement prévu de 14,1 millions d’euros. Sur ce point, le directeur du SIG se justifie par le caractère imprévisible de la crise sanitaire de 2020 et l’ajout de “nouvelles missions et de nouveaux projets”.
Il n’empêche, le recours accru aux prestataires extérieurs fait grincer des dents en interne. Danielle Carassik, ancienne responsable du département analyse médias au SIG, dénonce à notre micro « une systématisation de l’externalisation” qui vise à en mettre plein la vue des décideurs politiques : “ils [les responsables du SIG, NDLR] préfèrent présenter une étude signée d’un type qui vient du MIT (Massachusetts Institute of Technology) que d’Alexandre Dupont qui travaille au service au 3e étage”, dit-elle. “Une étude interne, ça fait moins de paillettes, ça brille moins. » Danielle Carassik estime que “la réduction des effectifs dans l’administration depuis une quinzaine d’années” serait responsable de cette course aux prestataires extérieurs, et c’est “dommageable” selon elle.
Interrogé sur ce point, Michaël Nathan se retranche derrière “la doctrine de recours aux prestataires du SIG”. Il est fait appel à eux quand “le service ne dispose pas du tout de compétences internes pour répondre aux besoins” et quand “il s’agit d’une campagne média de grande ampleur”.
Enfin, concernant le budget, le directeur du SIG, explique que “tout se fait en totale transparence avec la tutelle”, c’est-à-dire Matignon. “Le caractère imprévisible de la crise sanitaire en 2020 et l’ajout de nouvelles missions ponctuelles ont conduit” le SIG “à être doté de moyens supplémentaires”, affirme-t-il.
* le prénom a été modifié
Source : France Inter