L’afflux toujours plus touffu de nouvelles anxiogènes les déprime. Qu’ils trouvent les informations trop compliquées, trop négatives ou pas assez fiables, ils font le même constat : ça va mieux depuis qu’ils ont arrêté.
Sanae Zerghani, 25 ans, a « compris que quelque chose partait en cacahuète » après avoir passé plusieurs soirées les yeux écarquillés, dans le lit de son appartement bruxellois, à se demander comment elle réagirait si la guerre arrivait jusque chez elle. Et que pourrait-elle faire face à une catastrophe climatique, des inondations comme au Pakistan, ou des incendies comme cet été dans le sud de la France ? « Le matin, je me réveillais et me rendais sur Google Actualités avant même d’avoir bu mon café. Même mon petit frère de 15 ans a entendu parler de la guerre en Ukraine sur TikTok. On n’est pas censés vivre dans le stress constant provoqué par Poutine et le réchauffement climatique. J’ai compris que les actualités me bouffaient et qu’il fallait que je me protège », rembobine l’étudiante en relations internationales.
Depuis quelques semaines, cette ancienne accro aux news s’est imposé de nouvelles habitudes : le soir, elle s’allonge devant un épisode de la série Grey’s Anatomy plutôt que d’allumer une chaîne d’informations en continu, elle a arrêté de consulter les applications de journaux sur son téléphone et se contente de se renseigner en ligne sur ses sujets de prédilection, comme la littérature ou les nouvelles technologies. Et même si certains de ses amis lui ont fait remarquer qu’il était de son devoir de s’informer pour rester au courant de l’état du monde, elle dit ressentir beaucoup moins de « colère » et de « désespoir » au quotidien depuis qu’elle a entamé cette diète médiatique.
Ces derniers mois, cette tentation de se couper de l’ensemble des canaux d’information se répand dans toutes les strates de la société. D’après une étude publiée par la Fondation Jean-Jaurès en septembre, 53 % des Français déclarent souffrir de « fatigue informationnelle ». Pour y faire face, de nombreux sondés disent mettre en place des stratégies de retrait : désactiver les notifications de son smartphone, surveiller le temps passé sur les écrans, éviter les chaînes d’info en continu…
L’aspect particulièrement anxiogène des actualités depuis la pandémie de Covid-19, l’accélération de la crise climatique et l’arrivée de la guerre en Ukraine ont forcément joué. Mais, parmi les facteurs qui les ont poussés à arrêter de s’informer, 34 % citent d’abord les débats jugés trop polémiques et agressifs, quand 32 % évoquent le manque de fiabilité des informations et 31 % l’impact négatif sur leur humeur ou leur moral. La tendance se double d’une défiance accrue envers le travail des journalistes : d’après l’enquête annuelle du Reuters Institute, seuls 29 % des Français déclarent avoir confiance dans les médias – un taux qui a baissé de neuf points depuis 2015.
Source : Le Monde