Le Courrier des Stratèges vous en parle depuis plusieurs semaines: la fin de l’euro est prévisible. Bien entendu, les dirigeants de l’Union Européenne font planer sur nous la menace d’un passage à l’euro exclusivement numérique, ultime tentative pour sauver une monnaie mal en point. Mais l’UE ne se remettra pas de la crise provoquée par le retour des Démocrates au pouvoir à Washington en 2021 – avec son quantitative easing démentiel – puis la guerre d’Ukraine. Peut-être nos propres dirigeants sont-ils tétanisés à la perspective d’un éclatement de la zone euro. Et pourtant, le retour au franc sera libérateur pour le pays, lui permettant de purger un demi-siècle d’erreurs politiques.
Vous pouvez imaginer tous les modèles économétriques et avoir un usage immodéré des mathématiques financières, déclencher régulièrement des guerres pour écraser ceux qui remettent en cause l’ordre monétaire mondial, faire marcher la “planche à billets” combinée aux délocalisations d’emplois: bref, pratiquer activement la “guerre des monnaies“; il est pourtant un moment où le réel vous rattrape.
C’est ce qui s’est passé aux Etats-Unis depuis 2016. Génie politique sous le masque d’un provocateur un peu grossier, Donald Trump a compris avant les autres la fin du règne du dollar. Et il a travailler à réindustrialiser les Etats-Unis pour fonder à nouveau la monnaie américaine sur des réalités. Cependant, pour y arriver, il ne fallait pas seulement affronter la Chine et mettre en cause le libre-échange, il fallait sevrer toute une oligarchie droguée au “quantitative easing”. A vrai dire, c’est le cartel des “producteurs” qui s’est révolté: l’alliance des grands acteurs bancaires et financiers américains et du Parti Communiste Chinois a tout fait pour mobiliser les “dealers” et tous les “sevrés” se trouvant dans les affres de la” désintoxication”. Ce que Joe Biden – gaffeur sénile – a lui-même présenté comme la “plus gigantesque fraude électorale” de tous les temps a permis de se débarrasser de Donald Trump, non sans mal, entre novembre 2020 et janvier 2021.
Et la fuite en avant du “quantitative easing” a repris, dans des proportions encore jamais atteintes. Comme l’activité économique mondiale avait diminué, du fait du COVID, les effets inflationnistes ont été immédiats. Ils étaient antérieurs d’au moins six mois à la guerre d’Ukraine, qui a juste pour conséquence d’aggraver encore cette inflation du fait de la hausse des prix de l’énergie.
Il fallait rappeler cette histoire avant de parler de l’euro. Car la crise terminale de la monnaie unique européenne, qui a commencé, est d’abord le produit de la passivité européenne.
Les illusions sur l’euro
Dans les années 1960, la création d’une monnaie européenne (rapport Werner puis rapport Triffin) avait été imaginée comme un moyen de sortir de la crise du dollar qui devait aboutir à la fin du système de Bretton Woods.
Cependant, jamais les Européens n’ont eu l’initiative. Le plaidoyer du Général de Gaulle pour un retour à l’étalon-or en 1965 n’avait pas été pris au sérieux. La Fed et Nixon ont eu les mains libres pour couper le lien entre le dollar et l’or et s’entendre avec les producteurs de pétrole sur le dos des Européens – la montée des prix du baril a permis de donner une base “réelle” à la fabrication de dollars.
Les Européens ont subi. Il a fallu attendre vingt ans de plus et les circonstances de la réunification de l’Allemagne pour que l’euro se mette en place. Sans aucune rationalité économique, d’ailleurs, du point de vue français: l’alignement des taux d’intérêt français sur les taux allemands élevés des temps de réunification a non, seulement aidé les Allemands à payer la réunification à moindre coût; mais il a cassé le possible passage français à la troisième révolution industrielle; il a empêché l’assimilation à la nation des enfants d’immigrés par l’emploi. Dans un second temps, la baisse des taux allemands a soulagé l’économie française mais nos présidents successifs en ont profité pour endetter le pays, apparemment sans douleur, dans des proportions inouïes: Jacques Chirac et François Hollande au nom de la paix sociale; Nicolas Sarkozy au nom de la lutte contre la crise de 2008; Emmanuel Macron, tout à son rêve de création d’un “budget européen” et d’avènement d’une souveraineté européenne.
En réalité,l’euro a été, de la part du monde dirigeant français, le prétexte à une douce imposture:
+ il s’agissait de discipliner budgétairement la société française; jamais le pays n’a été autant endetté.
+ il s’agissait de converger avec le “modèle allemand”; jamais le pays n’a autant divergé du voisin – en témoigne en particulier notre désindustrialisation.
+ il s’agissait de créer une “puissance européenne”. Mais l’Union Européenne n’est jamais sortie de la faiblesse structurelle qu’impliquait le Traité de Maastricht: absence de politique de change active face au dollar; alignement de la politique étrangère de l’ensemble sur l’OTAN.
La crise terminale de l’euro a commencé
La crise de l’euro est inéluctable, pour au moins trois raisons:
+ la monnaie unique européenne a été construite sur la fausse prémisse selon laquelle l’unification politique se ferait par la monnaie. Or ce sont toujours les unions politiques qui font les unités monétaires. Et, par ses effets dissolvants la crise ukrainienne va (encore) accroître les divergences entre membres de la zone euro. Entre les radicaux de l’atlantisme et les pragmatiques; entre la Pologne, connaissant un accroissement d’influence et de puissance et les autres “grands” de l’UE ou la Commission européenne; entre les pays endettés et les autres etc…
+ La réussite de l’euro, malgré le laxisme français et la “mezzogiornisation” de l’Europe du sud, a tenu à la construction de la monnaie autour de la division germanocentrique du travail en Europe: utilisation de la main d’œuvre à bas salaires de l’Europe centrale et orientale, absorption de 30% des exportations allemandes par la zone euro et de 40% par l’UE. Que se passe-t-il si l’Allemagne elle-même entre en crise du fait du renchérissement des prix de l’énergie et d’une exclusion du pays, du fait des sanctions envers la Russie, d’un certain nombre de marchés, en Amérique latine, en Afrique, en Asie centrale, en Extrême-Orient?
+ La remontée des taux d’intérêt aux États-Unis conjuguée à la récession européenne va conduire la BCE à relever ses taux sans pour autant éviter une augmentation du différentiel de taux entre les pays les moins endettés et les plus endettés de la zone.
Evidemment, le passage à l’euro numérique sera présenté comme le nouveau moyen de prolonger la vie de la monnaie européenne. La fin du papier-monnaie et la centralisation engendrée par l’euro digital seront souhaités par la BCE et la Commission Européenne pour mettre en place un régime de contrôle absolu des comptes bancaires et de revenu universel dans la logique du “Grand Reset” de Davos.
Cependant, la crise de l’économie allemande, la montée des prix de l’énergie, la chute de l’euro sur les marchés, les tensions sociales à venir, la démonétisation – c’est le cas de le dire – de dirigeants européens vus dans une grande partie du monde comme de simples caniches de Washington, tout cela conduit à penser que le moment favorable pour l’introduction de l’euro numérique est passé. Ajoutons la profonde crise de confiance dans laquelle la gestion opaque de l’achat de vaccins puis l’effet boomerang des sanctions anti-russes ont accrue. La disparition du cash aurait un effet psychologique désastreux – en particulier en Allemagne où pendant longtemps on a préféré absolument l’argent liquide aux cartes de crédit.
Sortir du mensonge existentiel: plaidoyer pour une révolution libertarienne française
L’euro est devenu pour le monde dirigeant français ce qu’en allemand on appelle “Lebenslüge”, un “mensonge existentiel. Nostalgie de l’étalon-or, admiration du “modèle allemand”, relents de vichysme, mépris de classe des “hyperdiplômés” envers les “gens qui ne sont rien” et les “illettrés”, mentalité de rentiers des grands capitalistes français dans la mondialisation, auto-conviction de la classe politique selon laquelle on ne pouvait pas parvenir au pouvoir si on était contre l’euro et, bien entendu, paix sociale achetée à moindre coût (jamais nous n’aurions pu nous permettre un tel degré d’endettement avec le franc) mais dans un climat de baisse généralisée du niveau de vie, tout se ligue pour expliquer que l’appartenance à la zone euro ait été décidée et maintenue contre tout bon sens. Non seulement François Mitterrand nous a fait entrer dans l’euro au pire moment (celui des taux allemands à 10%); mais Nicolas Sarkozy ou François Hollande n’ont pas saisi l’occasion des crises de la dette grecque pour quitter le navire; quant à Emmanuel Macron, il fait penser à la fameuse formule de Maurice Clavel prédisant que le “dernier stalinien d’Europe serait un curé breton”: le dernier défenseur de l’euro contre vents et marées pourrait bien être un inspecteur des finances français.
Cependant, la fin de la monnaie européenne est inéluctable. L’euro ne résistera pas à la conjonction de l’esprit de prédation états-unien (pour sauver le dollar), de l’émergence d’un mulipolarisme monétaire (rouble, yuan, roupie, dinar etc…) et des cryptomonnaies.
Alors oui, il y aura un premier effet profondément libérateur de la fin de l’euro: elle va profondément déstabiliser une classe dirigeante qui a tout misé sur la monnaie unique depuis trente ans.
Pour refonder la nation française, nous avons besoin d’un moment révolutionnaire, d’un changement de personnel dirigeant. L’implosion de l’euro le procurera tant il est vrai que toute la classe politique, même Marine Le Pen, s’est ralliée à l’euro. La monnaie unique européenne est le verrou de la politique française. Il faut faire sauter ce verrou. Il s’agit de rendre à la France son optimisme. Or l’euro est un facteur de profond pessimisme, de déclin et de fatalisme pour le pays. Nous devons retrouver l’envie d’inventer, de créer, d’investir, d’avoir des enfants et de les éduquer, de bâtir pour eux et, un jour, avec eux, une France qui rayonne à nouveau.
Le deuxième effet libérateur viendra de ce que l’on ne voit pas comment résoudre l’endettement français dans le cadre de l’euro. Le quantitative easing de Monsieur Draghi a permis, certes, de réinjecter des liquidités dans le système bancaire et d’alimenter la dette publique. Mais il n’a fait que retarder une crise générale de la dette (dans laquelle l’Allemagne va d’ailleurs entrer à son tour du fait du renchérissement du prix de l’énergie et de la perte de débouchés à l’exportation). Et la crise des Gilets Jaunes a rendu visible la destruction du tissu social, la mezzogiornisation d’une partie de la zone euro – qui n’est pas seulement géographique. La seule façon de s’en sortir – sauf à souhaiter le chaos social – sera dans une dévaluation drastique de la monnaie. Cela ne peut pas se passer avec l’euro. La France doit retrouver la maîtrise de son taux de change pour mener une politique monétaire propice au désendettement, à l’investissement et à la réindustrialisation du pays.
On m’objectera que je suis donc prêt à tuer la rente et léser les possédants. Mais ce n’est pas le cas: au Courrier des Stratèges, nous vous conseillons d’anticiper et de convertir vos actifs dans des produits sûrs: or, métaux blancs, matières premières, autres monnaies que l’euro, immobilier en province etc…. Et les pouvoirs publics français seraient bien inspirés de relancer les achats d’or.
Bien entendu, tout cela ne se fera pas par un coup de baguette magique.
Il est nécessaire qu’émerge une nouvelle élite politique, qui ne soit pas compromise par l’euro.
Jean-Jacques Rosa avait déjà montré, dans un livre paru en 2011, avec quel soin doit être préparée la réintroduction d’une monnaie nationale – d’autant plus si survient une implosion soudaine de la monnaie unique.
Et un discours de vérité doit être tenu vis-à-vis des épargnants et possédants français (et par eux) pour anticiper sur les bouleversements à venir.
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