À l’heure où les forêts continuent de flamber en Gironde, Christophe Govillot, pilote de Canadair engagé sur les feux et porte-parole du Syndicat national du personnel navigant de l’aviation civile dénonce un manque de moyens humains et techniques.
Après huit heures de vols, près de 60 largages d’eau dans le Sud-Gironde et sur le bassin d’Arcachon, Christophe Govillot pilote de Canadair prend le temps de répondre à « Sud Ouest » : « Nous sommes engagés corps et âme dans la lutte contre le feu, nous avons une doctrine d’engagement, une méthode, encore faut-il se donner les moyens de l’appliquer ».
Un autre incendie couve dans les rangs des pilotes de la Sécurité civile (1). Une question de moyens. À l’inverse de ses collègues, cet ancien pilote de chasse, n’est pas soumis au droit de réserve de par ses fonctions syndicales : il est porte-parole du Syndicat national du personnel navigant de l’aviation civile. « À notre direction, aux politiques, je dis simplement : Ouvrez les yeux, donnez-nous les moyens de travailler. Des efforts ont été faits mais la réponse n’est pas à la hauteur. Avec le réchauffement climatique, on ne va pas vers des étés plus sereins. Chacun est face à ses responsabilités, nous assumons les nôtres, à nos décideurs de prendre les leurs ».
Canadairs vieillissants
La flotte d’avions de lutte anti-feu est située à Nîmes sur la base de la Sécurité civile. Sur le papier, on dénombre 12 canadairs, 7 Dash, 3 beechers (pour la reconnaissance et l’observation). « On a des avions sur le parking qui ne peuvent pas voler. C’est simple, le 14 juillet 2019 sur ce même parking, nous avions 22 avions en capacité de voler. Trois ans plus tard, à date, nous en avons 13 », constate Christophe Govillot.
Plusieurs explications. : « Nous avons six Dash, des avions rapides – ils font Nîmes Bordeaux en une heure- chargés de 10 000 litres de produits retardant, le septième doit être livré. Quatre sur six sont en mesure de voler. Quant aux Canadair, sur les 12, seulement 9 sont opérationnels » La raison ? « La maintenance n’est pas au niveau. Notre direction est incapable de mettre au garde à vous les sociétés qui en ont la charge, au frais du contribuable. On les paie pour avoir des avions disponibles, ce n’est pas le cas ».
Problème qui se pose avec acuité sur les canadairs, la vieillesse de la flotte : « Le plus ancien a trente ans, nous faisons face à des problèmes de pannes récurrentes, un manque de pièces détachées. On a un canadair qui attend un moteur depuis un mois… C’est l’avion le plus adapté à la France, le plus agile, qui fait le plein en quelques secondes à proximité du feu ». Pour les remplacer, l’affaire n’est pas simple. Il y a bien sûr le coût, plusieurs millions d’euros. Mais surtout une équation industrielle complexe. L’ancien fabricant, Bombardier, a cessé sa production. La société Viking Air a repris le flambeau pour un nouvel appareil, mais a attendu de remplir son carnet de commandes pour investir dans une chaîne de production : « L’Europe a acheté 12 appareils, la France en aura deux, mais pas avant 2025. Notre pays ne s’est pas positionné pour en acheter. Plus on attend plus ça décale dans le temps, et nos canadairs ne seront pas fringants ».
Des avions mais personne dedans
Autre sujet porté par le syndicat, la question des moyens humains : « On l’a éprouvé cette semaine en Gironde. Après avoir tourné pendant huit heures (horaire réglementaire), deux avions se sont posés à Mérignac. Ils auraient pu repartir, mais nous n’avions personne à mettre dedans…. En tant que pilotes, ça nous fait mal », se désole Christophe Govillot. Il fait le calcul : « Il y a 16 commandants de bord, quand il en faudrait 22 ». Ces derniers mois, la Sécurité civile a vécu un mouvement social inédit. Pendant des mois, des discussions se sont déroulées avec leur ministère de tutelle, l’Intérieur, autour de questions salariales, de primes, de statuts, moyens.
Les pilotes sont allés jusqu’à déposer un préavis de grève pour le 1er juillet dernier, premier jour de la « saison des feux » des pompiers du ciel. Gérald Darmanin a fini par signer le protocole d’accord, ce même 1er juillet. Parmi les avancées, la reconnaissance du statut de « métier à risque » pour les pilotes… Christophe Govillot assume son coup de gueule : « On profite d’être dans la lumière pour poser les problèmes sur la table. Il faut que les Français comprennent, on va au feu tous les jours, nous avons de grosses difficultés. Ce que nous ne faisons pas, ce sont nos collègues pompiers au sol qui doivent le faire. Il faut être conscient que cette question des feux, avec le réchauffement est incontournable dans les années qui viennent. Et plus seulement pour le sud de la France ».
(1) 90 personnes, commandant de bord ou copilote, d’avions ou d’hélicoptères