En février 2021, sur ordre du président Volodymyr Zelensky, l’Ukraine fermait trois chaînes de télévision nationales, les accusant de diffuser de la « propagande » russe. Trois mois plus tard, Zelenksky faisait arrêter Viktor Medvedchuk, qui dirigeait à l’époque le deuxième plus grand parti du parlement national ukrainien, la Plateforme d’opposition pour la vie (OPZZh), pro-russe et eurosceptique.
Zelensky n’a pas eu d’hésitation à incinérer les normes démocratiques tant vantées bien avant que la Russie ne franchisse le Rubicon en Ukraine cette année. Il n’est donc pas surprenant qu’il ait récidivé en pleine guerre, fin mars, en invoquant les pouvoirs d’urgence de la loi martiale pour nationaliser les chaînes de télévision et interdire 11 partis d’opposition, dont l’OPZZh ; tout cela soi-disant au nom de la lutte contre la désinformation et contre les sympathisants russes, même si le président de l’OPZZh de l’époque, Yuriy Boyko, avait lui-même dénoncé la guerre et appelé au cessez-le-feu et au retrait des troupes russes d’Ukraine. Zelensky, cependant, n’a pas manqué une telle occasion de couper les ailes de l’opposition politique dans son pays, encore moins maintenant que les médias occidentaux rationalisent et glorifient chacun de ses gestes.
Dresser un portrait du président ukrainien en parangon de la démocratie blanchit le vrai Zelensky et dissimule un vaste réseau de corruption et de sournoiseries internationales dont l’Ukraine est le centre. Pour comprendre le vrai Zelensky, il faut bien voir qu’il est la création de l’oligarque ukrainien Igor Kolomoisky. Il n’est, en vérité, qu’une marionnette de l’intrigue.
Les Pandora Papers
Il est peut-être difficile de le croire aujourd’hui, mais les révélations des « Pandora Papers » – des millions de fichiers provenant de fournisseurs de services fiscaux divulgués au Consortium international des journalistes d’investigation et partagés avec des partenaires du monde entier – ont fait vaciller Zelensky l’année dernière, menaçant de mettre fin à sa carrière politique. Car l’acteur devenu politicien avait fait campagne en tant que réformateur anti-corruption et les Pandora Papers montraient qu’il était tout aussi véreux que ses prédécesseurs.
Sur plus de 300 hommes politiques et agents publics, dont plusieurs dirigeants nationaux actuels et anciens, dans plus de 91 pays et territoires auxquels les documents étaient liés, l’Ukraine était le pays qui abritait le plus de comptes secrets dans les paradis fiscaux de tous, même la Russie. L’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), qui a contribué à l’enquête, a découvert que juste avant d’être élu président, Zelensky « a fait don de ses parts dans une société clé enregistrée dans les îles Vierges britanniques, Maltex Multicapital Corp., à son partenaire commercial, qui allait devenir son principal assistant présidentiel. Et malgré la cession de ses parts, les documents montrent qu’un arrangement a rapidement été conclu pour permettre à cette société installée dans un paradis fiscal de continuer à verser des dividendes à une société qui appartient désormais à sa femme. »
Comme pour les mesures de répression contre la liberté d’expression et l’opposition politique, le bureau de Zelensky a tenté de justifier le recours aux paradis fiscaux en invoquant le spectre de l’agression russe. Un conseiller du chef de cabinet de Zelensky a déclaré que ces sociétés secrètes étaient nécessaires pour « protéger » les revenus du groupe contre les « actions agressives » du régime « corrompu » de l’ancien président Viktor Ianoukovitch, qui a été chassé par une révolution de couleur soutenue par les États-Unis en 2014. Les propriétés coûteuses acquises par les associés de Zelensky dans le centre de Londres, comme les paradis fiscaux, ne sont, semble-t-il, que d’humbles refuges pour ukrainiens persécutés.
Il faut ajouter que Zelensky et ses associés d’une société de production télévisuelle, Kvartal 95, ont mis en place un réseau de sociétés offshore remontant au moins à 2012. C’est également cette année-là que la société a commencé à produire des contenus réguliers pour les chaînes de télévision appartenant à Kolomoisky, l’oligarque le plus flamboyant d’Ukraine et le principal soutien de Zelensky.
Le Raider
Kolomoisky est connu pour avoir intimidé des clients en nourrissant un requin vivant qu’il gardait dans un énorme aquarium dans son bureau de Dnipropetrovsk, et aurait même ordonné des meurtres sous contrat. S’il n’existait pas, Richard Marcinko l’aurait probablement inventé comme méchant dans l’un des romans de sa série Rogue Warrior.
Kolomoisky a cofondé et a été, jusqu’en 2016, le principal propriétaire de PrivatBank, la plus grande banque commerciale d’Ukraine, ainsi que du PrivatBank Group, une coalition commerciale mondiale dont le contrôle s’étend sur des milliers d’entreprises dans pratiquement tous les secteurs d’activité en Ukraine, dans l’Union européenne, en Géorgie, en Russie, aux États-Unis et ailleurs. Il nie avoir besoin d’influencer le président, mais lorsque le Fonds monétaire international a mis fin aux discussions avec le gouvernement de Zelensky après avoir échoué à conclure un nouvel accord de prêt en 2019 (en invoquant une corruption omniprésente), Kolomoisky, à qui l’on demandait dans une interview qui gagnerait si Zelensky était obligé de choisir entre lui et les prêts du FMI, a répondu : « C’est moi ». Les médias ukrainiens ont noté que Kolomoisky n’a pas nié avoir financé la campagne de Zelensky.
Kolomoisky a construit son énorme fortune au sommet de PrivatBank principalement en tant que « raider ». Dans un article du Harper’s Magazine sur le bailleur de fonds de Zelensky, Andrew Cockburn précisait la signification de ce terme avec l’aide de Matthew Rojansky, directeur du Kennan Institute au Woodrow Wilson Center for International Scholars. Il existe en Ukraine des entreprises « enregistrées avec des bureaux et des cartes de visite, des entreprises [qui sont spécialisées dans] les différentes dimensions du processus de raid sur les entreprises, ce qui inclut des hommes armés pour faire des choses, la falsification de documents, la corruption de notaires, la corruption de juges », a déclaré Rojansky à Cockburn. Et selon Rojansky, Kolomoisky est « l’oligarque-raider le plus célèbre, accusé d’avoir mené une campagne massive de raids pendant une dizaine d’années jusqu’en 2010 ». À un moment donné, il a réussi à se retrouver sur la liste d’interdiction de visa des États-Unis, lui interdisant d’entrer dans le pays.
Mais les intérêts de l’oligarque vont bien au-delà des transactions commerciales coupe-gorge, se superposant aux affaires de Washington dans la région.
Entre 2013 et 2014, les États-Unis ont soutenu une révolution de couleur en Ukraine qui a abouti à un changement de régime. Cela a également déclenché une guerre civile entre les forces gouvernementales et les séparatistes pro-russes de l’est du pays qui ont déclaré leur indépendance vis-à-vis de Kiev. Au milieu de cette crise, le président par intérim, Oleksandr Turchynov, a nommé Kolomoisky gouverneur de l’oblast de Dnipropetrovsk. Il a transformé ses effectifs en une armée privée pour combattre les séparatistes. Pourtant, même si Kolomoisky s’est transformé en chef de guerre, il n’a pas négligé son empire commercial.
Un oligarque approuvé par Washington
En 2014, le FMI approuvait une aide d’urgence à l’Ukraine et injectait des milliards dans la Banque nationale d’Ukraine – la banque centrale du pays – pour soutenir les banques commerciales locales. Grâce à un stratagème à l’échelle mondiale impliquant des comptes PrivatBank et des sociétés du groupe PrivatBank, ainsi qu’un système judiciaire ukrainien corrompu, Kolomoisky a pillé des milliards d’aide du FMI. L’escroquerie, telle que révélée dans une série de jugements de tribunaux, a été décrite comme suit par Cockburn :
Quarante-deux entreprises ukrainiennes appartenant à cinquante-quatre entités offshore enregistrées dans des juridictions des Caraïbes, des États-Unis et de Chypre et liées ou affiliées au groupe d’entreprises Privat, ont contracté des prêts auprès de la PrivatBank en Ukraine pour une valeur de 1,8 milliard de dollars. Les entreprises ont ensuite commandé des marchandises à six sociétés « fournisseurs » étrangères, dont trois étaient constituées au Royaume-Uni, deux dans les îles Vierges britanniques et une dans l’îlot caribéen de Saint-Kitts-et-Nevis. Le paiement des commandes – 1,8 milliard de dollars – a été peu après prépayé sur les comptes des fournisseurs, qui se trouvaient, par coïncidence, dans la succursale chypriote de la PrivatBank. Une fois l’argent envoyé, les sociétés d’importation ukrainiennes se sont arrangées avec PrivatBank Ukraine pour que leurs prêts soient garantis par les marchandises commandées.
Mais les fournisseurs étrangers ont systématiquement déclaré qu’ils ne pouvaient finalement pas honorer la commande, rompant ainsi les contrats mais sans faire aucun effort pour restituer l’argent. Finalement, les sociétés ukrainiennes ont intenté une action en justice, toujours devant le tribunal économique de Dnipropetrovsk, exigeant que le fournisseur étranger restitue le prépaiement et que la garantie accordée à PrivatBank soit annulée. Dans quarante-deux de ces cas, le tribunal a rendu un jugement identique : le paiement anticipé devait être restitué à l’entreprise ukrainienne, mais le contrat de prêt devait rester en vigueur.
Au cours de cette période, Kolomoisky a maintenu la diversité de son portefeuille d’activités. L’année 2014 est également celle où Hunter Biden, le fils du vice-président de l’époque, Joe Biden, aurait rejoint le conseil d’administration de Burisma, une société énergétique ukrainienne à laquelle Kolomoisky est liée par une participation majoritaire, selon le New York Post. Des courriels obtenus par le Post révèlent que Vadym Pozharskyi, un protégé de Kolomoisky, a communiqué avec Hunter en 2015 au sujet d’une réunion entre Pozharskyi et le vice-président Biden de l’époque. De plus, les relevés bancaires de Hunter (obtenus légalement selon D&A Investigations) montrent des paiements qui lui ont été faits par PrivatBank.
En 2015, Kolomoisky était en chemin vers sa prochaine action controversée, celle qui allait finalement conduire à l’ascension de Zelensky.
En mars de cette année-là, les hommes de Kolomoisky ont physiquement pris le contrôle d’Ukrnafta, le plus grand producteur de pétrole et de gaz du pays, et d’UkrTransNafta, qui contrôle pratiquement tous les oléoducs en Ukraine. C’était une façon pour Kolomoisky de montrer sa désapprobation des timides efforts de réforme du gouvernement, ce qui représentaient une menace directe pour le pouvoir du président de l’époque, Petro Porochenko. Ce dernier s’est donc tourné vers Washington pour obtenir de l’aide, à savoir Victoria Nuland, alors secrétaire d’État adjointe aux affaires européennes et eurasiennes, et Geoffrey Pyatt, qui était alors ambassadeur des États-Unis en Ukraine.
Nuland est une interventionniste mariée à l’archi-néoconservateur Robert Kagan. Elle a été appelée « l’architecte de l’influence américaine en Ukraine », a joué un rôle dans le changement de régime et a servi dans toutes les administrations présidentielles, sauf celle de Trump, depuis l’époque de Bill Clinton. Les gens comme Nuland sont la raison pour laquelle les présidents vont et viennent, mais la politique étrangère interventionniste reste toujours.
Avec l’aide de D.C., en échange de sa démission, Porochenko a réussi à retirer Kolomoisky de la liste des interdictions de visa, entre autres choses. Il est important de noter que Pyatt et Nuland ont fermé les yeux sur le plan de détournement de fonds du FMI par Kolomoisky, alors même que Washington persécutait d’autres oligarques y ayant participé.
Pendant qu’il ignorait la corruption de Kolomoisky, le Département d’État a tenté d’extrader l’oligarque ukrainien Dmitry Firtash pour un incident de corruption qui aurait eu lieu en Inde. Cependant, son véritable crime était d’avoir des liens avec le gouvernement que Nuland avait contribué à renverser, ainsi que son association avec le président ukrainien déchu, Viktor Yanukovych. Lorsque Firtash a fait appel de son extradition, un juge européen lui a donné raison et a conclu que « l’Amérique voyait manifestement en Firtash quelqu’un qui menaçait ses intérêts économiques. » Néanmoins, Washington a la mémoire longue, et Firtash pourrait bien finir par être jugé aux États-Unis.
Après avoir été retiré de la liste des personnes interdites aux États-Unis, Kolomoisky a continué à détourner et à escroquer d’énormes sommes à la PrivatBank. Certaines de ses combines ont débordé sur le sol américain.
Selon le ministère de la Justice, de 2008 à 2016 environ, Kolomoisky a obtenu des prêts et des lignes de crédit frauduleux dans le cadre d’une arnaque massive totalisant au moins 5,5 milliards de dollars, soit à peu près l’équivalent de cinq pour cent du produit intérieur brut de l’Ukraine à l’époque. Aux États-Unis, des millions de ces dollars auraient été blanchis par des achats d’immobilier commercial, de l’Ohio au Kentucky, en passant par le Texas. En outre, le bienfaiteur de Zelensky aurait acheté une douzaine d’aciéries dans de petites villes américaines, laissant dans son sillage des usines en faillite, des impôts impayés, des bâtiments pourris et des centaines de sidérurgistes sans emploi.
En nationalisant PrivatBank en 2016, l’Ukraine a effectivement fait peser sur les épaules des contribuables le poids d’un renflouement de plusieurs milliards de dollars.
Le serviteur du peuple
Kolomoisky prendra sa revanche pour ce qui s’est passé. La confrontation avec Porochenko, considérée comme humiliante pour l’oligarque, s’est terminée en mars 2015.
En octobre, le premier épisode d’une nouvelle émission titrée Serviteur du peuple, a été diffusé sur la chaîne ukrainienne 1+1 ; série dans laquelle Zelensky jouait le rôle principal : un professeur d’histoire de lycée qui devient inopinément président de l’Ukraine et s’engage à lutter contre la corruption du gouvernement. 1+1 appartient au groupe 1+1 Media, l’un des plus grands conglomérats médiatiques ukrainiens, dont le propriétaire, selon l’Atlantic Council, n’est autre que Kolomoisky lui-même, ce qui lui confère « une influence politique significative dans l’Ukraine d’aujourd’hui ». Ses actifs médiatiques ont été utilisés pour promouvoir la campagne électorale de 2019 du président Zelenskyy, dont les émissions à succès étaient auparavant diffusées sur le réseau de Kolomoisky.
La série Serviteur du peuple a été produite par Kvartal 95, la société fondée par Zelensky, dont les partenaires étaient impliqués dans le réseau de délocalisations dénoncé par les Pandora Papers. Après l’ascension de Zelensky, des figures clés de Kvartal 95 ont rejoint l’administration de Zelensky. Ivan Hennadiyovych Bakanov, par exemple, est passé de la direction du studio de production à la direction du Service de sécurité de l’Ukraine.
L’émission a littéralement créé le personnage présidentiel de Zelensky, lui permettant effectivement de construire une campagne officieuse contre l’administration en place jusqu’en mars 2018, lorsqu’un parti politique portant le nom de la série télévisée a été enregistré auprès du ministère de la Justice. En décembre 2018, Zelensky annonçait officiellement sa candidature à la présidence sur 1+1.
Zelensky, la création d’un oligarque, a fait campagne pour la présidence sous la forme du personnage qu’il a joué dans une série comique, avec un parti portant le nom de la série, jusqu’à la victoire en 2019. Pendant la course, Volodymyr Ariev, un allié politique du président sortant Porochenko, a publié un tableau sur Facebook affirmant qu’il montrait comment Zelensky et ses partenaires de production télévisuelle étaient bénéficiaires d’une constellation de sociétés offshore qui auraient reçu des millions de la PrivatBank de Kolomoisky.
Les allégations ont été rejetées comme étant sans fondement à l’époque, mais les Pandora Papers ont révélé que les informations sur plusieurs sociétés du réseau correspondaient au tableau d’Ariev, a noté l’OCCRP.
Peu après avoir pris les rênes, Zelensky et son parti Serviteur du Peuple ont commencé à licencier, soi-disant pour inefficacité, des ministres ukrainiens réputés pour leurs réformes anti-corruption. Daria Kaleniuk, directrice du Centre d’action anticorruption d’Ukraine, déclarait au Washington Post, en mars 2020, que l’affaire a fait passer le message que Zelensky « peut renvoyer une personne qui prend un risque, pour faire de bonnes choses, en le blâmant pour son inefficacité. » Le journaliste réformateur basé à Kiev, Oleg Sukhov, s’est fait l’écho de ce sentiment l’année dernière, écrivant que « Zelensky a toujours protégé les fonctionnaires corrompus des poursuites et tué toute réforme anticorruption. » D’autre part, face à une pétition demandant sa révocation, Zelensky a refusé de renvoyer Oleh Tatarov, son chef de cabinet adjoint, qui avait été accusé de corruption.
Les personnes mises sur la sellette étaient également les plus susceptibles de menacer le pouvoir d’oligarques comme Kolomoisky, dont Zelensky a peut-être appris une chose ou deux.
Lors d’une conférence de presse en 2020, il a fait remarquer qu’il voulait qu’on se souvienne de lui comme « le président qui a construit de bonnes routes en Ukraine ». L’une des rares entreprises de construction qui ont reçu une part importante des fonds de l’État pour la construction de routes publiques pendant son mandat est PBS LLC, qui est liée à Skorzonera LLC, une société détenue par Kolomoisky, selon les registres des entreprises.
PBS a été accusée par des enquêteurs ukrainiens d’avoir détourné des millions de dollars de fonds publics destinés aux travaux routiers. Un jugement rendu par un tribunal de l’Oblast d’Ivano-Frankivsk a noté qu’avec Skorzonera, contrôlée par Kolomoisky, elle fait partie d’un réseau d’entités commerciales liées dont les adresses et le personnel se chevauchent. PBS et Skorzonera avaient même envoyé leurs déclarations fiscales à partir de la même adresse IP.
L’ancien ministre des douanes Maxim Nefyodov est l’un des réformateurs licenciés par Zelensky. Nefyodov est surtout connu pour avoir créé ProZorro, un système conçu pour lutter contre la corruption dans le secteur des marchés publics en Ukraine.
Après avoir licencié Nefyodov, le parti de Zelensky a utilisé sa majorité pour faire passer une loi qui permettrait au projet de construction de routes le plus cher de l’histoire moderne de l’Ukraine d’être construit sans aucune surveillance, sans ProZorro. En juin dernier, le Kyiv Post rapportait comment Zelensky « a doublé les dépenses pour la réparation des routes, en puisant dans la poche du fonds de secours COVID et en dépensant l’argent que l’Ukraine a gagné dans les tribunaux internationaux ». Une source d’argent intéressante, si l’on considère que le FMI a approuvé un programme d’aide de plusieurs milliards de dollars en 2020 « pour aider l’Ukraine à faire face aux défis de la pandémie COVID-19 en fournissant un soutien à la balance des paiements et au budget. » Est-il possible que Zelensky se soit inspiré de Kolomoisky en prenant des libertés avec l’aide internationale ? Difficile de l’affirmer avec certitude.
On ne sait pas non plus pourquoi le Département d’État a décidé de sanctionner à nouveau Kolomoisky en mars dernier, après qu’il ait été retiré de la liste noire, malgré ses propres manigances internationales. Dans un communiqué de presse, le secrétaire d’État Anthony Blinken déclarait que la raison était « due à son implication dans une corruption importante ». Mais ils étaient au courant de cela quand ils l’ont inscrit et retiré de la liste la première fois. Plus étrange encore, Blinken a spécifiquement cité les années 2014 à 2015, lorsque Kolomoisky « a été impliqué dans des actes de corruption qui ont sapé l’État de droit et la foi du public ukrainien dans les institutions démocratiques et les processus publics de leur gouvernement, y compris en utilisant son influence politique et son pouvoir officiel pour son bénéfice personnel. »
Encore une fois, ce n’est pas une révélation, étant donné que Nuland a joué un rôle dans le retrait de Kolomoisky de la liste noire la première fois, à l’époque où Blinken était conseiller adjoint à la sécurité nationale sous Obama. Blinken n’a même pas mentionné le pillage présumé de Kolomoisky aux États-Unis.
La marionnette de l’intrigue
En 2019, juste après que Zelensky a remporté son élection, Kolomoisky signalait qu’il était prêt à verser de l’huile sur les eaux troubles et à faire la paix avec la Russie. La guerre civile dans l’est de l’Ukraine avait fait jusqu’à présent plus de 14 000 morts. L’oligarque a déclaré que c’était suffisant : « Ils sont de toute façon plus forts. Nous devons améliorer nos relations », a-t-il déclaré à propos de la Russie et de l’Ukraine, selon le New York Times. Mais il a également vu un obstacle : « Les gens veulent la paix, une bonne vie, ils ne veulent pas être en guerre. Et vous [Washington] nous obligez à être en guerre, et ne nous donnez même pas l’argent pour cela. »
Les États-Unis ont-ils sanctionné le patron de Zelensky, comme ils l’avaient fait pour Firtash, pour le pousser dans la bonne direction ?
Dans le cas Firtash, les États-Unis avaient menacé de l’arrêter pour corruption afin de faire pression sur Yanukovych pour qu’il signe un accord commercial avec l’UE. Mais cet accord était, en réalité, un stratagème pour déstabiliser l’économie russe.
Bien qu’il ait été qualifié de simplement « pro-russe », M. Ianoukovitch, comme l’explique The Economist, préférait « préserver le statu quo et s’abstenir de rejoindre l’un ou l’autre camp tout en continuant à traire [l’UE et la Russie] ». Et c’est ainsi que les États-Unis ont pressé leur ami pour encourager Ianoukovitch à pencher dans la direction souhaitée. « S’il fallait persuader Ianoukovitch de changer d’avis, la menace de mettre son parrain Dmitry Firtash derrière les barreaux était un puissant levier à actionner », écrit Cockburn. « Quatre jours plus tard, Ianoukovitch signalait qu’il était prêt à signer, après quoi Washington levait la demande d’emprisonnement de son allié milliardaire. »
Mais Ianoukovitch a changé de cap et a accepté une contre-offre de Moscou, il est donc devenu le point de mire d’une révolution de couleur. Toujours selon Cockburn : « Des manifestations de rue à Kiev ont suivi, soutenues avec enthousiasme par Nuland, qui a même distribué des biscuits en remerciement aux manifestants. »
Yanukovych a fui Kiev le 22 février. Quatre jours plus tard, Washington renouvelait ses efforts pour arrêter Firtash. « Ils l’ont fait en bonne et due forme. Brièvement emprisonné, Firtash a déposé l’équivalent d’une caution de 174 millions de dollars et a attendu qu’un tribunal se prononce sur son appel contre l’extradition. »
La question de savoir si quelque chose de similaire s’est produit avec l’oligarque de Zelensky est une autre bonne question ; une question à laquelle on ne répondra probablement pas de sitôt.
Le grand mensonge
La guerre a complètement réinventé Zelensky, sauvant ainsi sa présidence entachée de scandales et marquée par des promesses non tenues. Comme le montre un sondage de l’Institut international de sociologie de Kiev, seuls 24 % des électeurs le soutenaient fin janvier. Mais aujourd’hui, grâce à l’adoption par l’Occident de la nouvelle personnalité de l’acteur, qui le place souvent hors d’atteinte de tout reproche, Zelensky est devenu le bénéficiaire d’une adoration sans réserve et d’énormes quantités d’aide internationale. « Avant la guerre, les États-Unis envoyaient 300 millions de dollars par an à l’Ukraine », a déclaré à NPR Mark Cancian, conseiller principal au Centre d’études internationales et stratégiques. « Maintenant, nous fournissons 100 millions de dollars par jour » à ce qui était jusqu’à récemment considérée comme « la nation la plus corrompue d’Europe », rapporte (le seul de tous les journaux) The Guardian.
À ce jour, le gouvernement américain est en passe de fournir à lui seul plus de 50 milliards de dollars d’aide totale à l’Ukraine. À titre de comparaison, le ministère de la sécurité intérieure a estimé que le mur frontalier proposé par Trump coûterait environ 21,6 milliards de dollars. Les Républicains, en particulier, ont passé les deux premières années du mandat de Trump à résister à ses efforts pour financer et construire le mur, avant d’accepter à contrecœur de soutenir une fraction seulement de ce qu’ils ont approuvé pour l’Ukraine au pied levé, allant même jusqu’à contester le patriotisme de leurs détracteurs.
Quelle est la probabilité que ces milliards d’aide internationale disparaissent dans des poches bien connectées ?
Personne ne pose ces questions ou toute autre question importante. Tout comme personne ne s’est demandé s’il était étrange que Zelensky déclare que la Russie devrait « tuer tous les résidents » de la capitale ukrainienne pour la prendre et l’atteindre lui. Cela semble être le prix élevé que le « serviteur du peuple » est prêt à faire payer aux Ukrainiens, et que Washington est heureux de laisser les Américains subventionner.
Padro Gonzalez
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone
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