Ce mardi 15 mars, la Cour de Strasbourg rend un arrêt reconnaissant la violation de l’article 11 (liberté de réunion et d’association) de la Convention européenne des droits de l’homme s’agissant des mesures Crovid. La Cour souligne la mise en balance entre liberté de réunion pacifique et mise en place des mesures sanitaires générales interdisant toute manifestation publique pendant trop longtemps. Le problème n’est donc pas l’atteinte en elle-même, mais la durée de l’atteinte, le contrôle de cette atteinte et les sanctions pénales trop lourdes à la clé.
Arrêt communauté genevoise d’action syndicale c. suisse mesures anti-covid générales interdisant les manifestations publiques pendant une longue durée de LaurianeB1
L’association requérante est une association syndicale de droit suisse qui organise des dizaines de manifestations chaque année dans le canton de Genève afin de défendre les intérêts des travailleurs. Elle saisit la Cour le 26 mai 2020, se plaignant d’avoir été contraint par le gouvernement suisse de retirer une demande d’autorisation pour une manifestation prévue le 1 er mai 2020.
Problème de proportionnalité et de contrôle
L’article 2 (droit à la vie) et l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme impose aux pays ayant ratifiés cette Convention de « protéger la vie et la santé des personnes se trouvant sous leur juridiction ».
La Cour de Strasbourg ne méconnait pas la menace sérieuse pour la santé publique engendrée par le Covid, ni les faibles connaissances des Etats au début de la pandémie malgré la nécessité de réagir rapidement.
Néanmoins « une interdiction générale d’un certain comportement » nécessite une justification solide et un contrôle particulièrement sérieux par les Tribunaux.
Même à supposer l’existence d’une justification solide, le Tribunal Fédéral Suisse n’a pas voulu examiner sur le fond les recours introduits en matière de liberté de réunion et la compatibilité avec la Constitution, et ce pendant un temps jugé considérable par la Cour de Strasbourg.
Cette dernière estime qu’au vu de l’urgence de la situation sanitaire, si un débat parlementaire n’était pas toujours envisageable, « toutefois, un contrôle juridictionnel indépendant et effectif des mesures prises par le pouvoir exécutif s’avère d’autant plus impérieux » (c’est donc Ok pour l’atteinte mais pas sans contrôle).
Nous conseillons donc à la haute juridiction suisse de prendre rendez-vous avec Laurent Fabius pour qu’il lui explique comment allier « contrôle juridictionnel indépendant » et soutien inconditionnel du pouvoir exécutif.
En France nous au moins on a tout, débats parlementaires et contrôle Constitutionnel … mais peut-être la Suisse n’a-t-elle pas osé pousser l’affront aussi loin que nous …
Le droit de manifester ne doit pas faire l’objet d’une sanction pénale
« Art. 10d Quiconque, intentionnellement, s’oppose aux mesures visées à l’art. 6, al. 1, 2 et 4, est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire, à moins qu’il n’ait commis une infraction plus grave au sens du code pénal »
L’Ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (COVID-19) sanctionnait pénalement celui qui violait l’interdiction de manifester.
Le Cour de Strasbourg estime les sanctions trop sévères et dissuasives.
La suisse n’a pas utilisé la dérogation à la Convention
La Convention européenne des droits de l’homme comporte un article 15 qui permet aux pays membres de déroger temporairement à l’application de la Convention en cas de guerre ou de troubles graves à l’ordre public (cette procédure avait été utilisée par la France en 2015 suite à l’instauration de l’état d’urgence).
Ce mécanisme vise à la prévenir d’éventuelles condamnations devant la CEDH, ou au moins de l’appeler à juger avec plus de souplesse.
Si pas d’activation de l’article 15, il n’y a donc pas de régime d’exception, donc l’article 11 sur la liberté de réunion et d’association s’applique pleinement.
J’imagine que ce constat ouvre la voie à un possible futur requérant venant d’un pays n’ayant pas activé l’article 15 … (à bon entendeur).
L’ingérence dans l’exercice des droits protégés par l’article 11 n’était pas proportionnée aux buts poursuivis. Dès lors, l’État suisse a outrepassé la marge d’appréciation dont il jouissait et doit verser 3 000 euros (EUR) à l’association requérante pour frais et dépens.
Source : Le Courrier des Stratèges